<96> cavalerie devait débuter; la grosse besogne de cette journée devait rouler sur l'infanterie, et sur une nombreuse artillerie habilement distribuée.
Les Russes occupaient un terrain avantageux, que leurs travaux avaient achevé de perfectionner. Dans la seule partie de leur front qui fût abordable, il régnait une petite plaine, défendue par les feux croisés d'une triple rangée de redoutes; une de leurs ailes était couverte par un abatis d'arbres, derrière lequel s'élevait un retranchement; l'autre aile avait devant elle un marais impraticable. Feu le maréchal Keith, qui avait examiné cette contrée devenue si célèbre, était persuadé que quand même Charles XII aurait eu une armée de cent mille hommes, il n'aurait pu forcer le Czar dans ce poste, parce que les obstacles multipliés que les assaillants avaient à vaincre successivement, leur devaient coûter un monde prodigieux, et qu'à la fin les plus braves troupes sont rebutées, quand des attaques longues et meurtrières leur opposent sans cesse de nouvelles difficultés. J'ignore la raison qu'eurent les Suédois, dans la situation critique où ils se trouvaient, de s'engager dans une entreprise aussi hasardeuse; s'ils y furent contraints par nécessité, ce fut à eux une faute essentielle de s'être mis dans le cas de combattre malgré eux et avec le plus grand désavantage.
Enfin, tout ce qu'on devait prévoir arriva : une armée consumée par les fatigues, par la misère, et par ses victoires mêmes, fut menée au combat. Le général Creutz, qui, par un chemin détourné, devait tomber, pendant l'action, sur le flanc des Russes, s'égara dans les forêts des environs, et ne put jamais y arriver. Douze mille Suédois attaquèrent donc dans ce poste terrible et meurtrier quatre-vingt mille Moscovites. Ce n'était plus une horde de barbares pareille à celle que Charles avait dissipée près de Narwa; mais c'étaient des soldats bien armés, bien postés, commandés par des généraux étrangers et