ÉLOGE DU GÉNÉRAL DE STILLE.
Christophle-Louis de Stille naquit à Berlin l'an 1696, d'Ulric de Stille, lieutenant-général des armées du Roi, commandant de la ville de Magdebourg, et de Marie de Cosel. Il fit ses humanités au collége de Helmstedt, et acheva de se perfectionner dans ses études à l'université de Halle. L'amour des lettres n'altéra pas en lui le désir de la gloire : en 1715, que la guerre survint avec la Suède, M. de Stille voulut servir sa patrie; il fit le siége de Stralsund, et de l'infanterie il passa dans la cavalerie, pour laquelle sa vivacité semblait le destiner. Il ne se contentait pas d'avoir une charge; il voulait être digne de la remplir. La longue paix qui, depuis l'année 1717, dura jusqu'à 1733, n'avait fourni au militaire aucune occasion d'acquérir l'expérience de son art. Tous étaient réduits à la simple théorie, qui, en comparaison de l'expérience, ne doit se regarder que comme l'ombre à l'égard de l'objet réel. A la mort d'Auguste Ier,33-a roi de Pologne, M. de Stille ne laissa point échapper l'occasion qui se présenta à lui; il assista au fameux siége de Danzig qui se fit sous la direction du maréchal Münnich, et il eut la satisfaction de faire sous le prince Eugène la dernière campagne où ce prince commanda sur le Rhin. Après la mort du feu roi,<34> le roi d'à présent le nomma gouverneur de son frère le prince Henri. M. de Stille était d'autant plus digne de cet emploi, qu'il réunissait les qualités du cœur aux talents de l'esprit et aux vertus militaires. Au renouvellement de l'Académie, M. de Stille en fut élu curateur. Il est honteux de le dire, mais il n'en est pas moins vrai qu'on trouve rarement parmi les personnes de naissance des esprits aussi éclairés que le sien, et un mérite aussi digne de l'Académie que l'avait M. de Stille. Il n'était point étranger parmi les différentes sciences que notre Académie réunit en corps; il aurait même été capable de nous enrichir de ses travaux littéraires, si ses différentes fonctions ne lui en avaient dérobé le temps. Son penchant le portait aux belles-lettres; il préférait aux sciences austères les grâces de l'éloquence, non pas cette profusion de mots qui n'opère qu'une espèce de bourdonnement agréable aux oreilles, mais la force des pensées qui, par des expressions majestueuses, force l'auditeur à les entendre, persuade, et entraîne les suffrages.
Il regardait les anciens comme nos maîtres, et leur donnait surtout la préférence sur les modernes par l'étude plus profonde de leur art qu'ils avaient faite. Nous lui avons souvent entendu dire qu'autrefois un homme pouvait devenir habile, parce qu'il ne consacrait ses talents qu'à l'art qu'il embrassait; mais que le goût de notre siècle pour l'universalité des sciences ne pouvait produire que des hommes superficiels en tout genre; et il regardait ce goût comme la cause de la décadence des lettres : il ne croyait pas que Virgile dût commenter Euclide, ni que Platon fît des vaudevilles, la vie d'un homme ne suffisant pas pour approfondir une science, La guerre tira bientôt M. de Stille de l'asile des Muses; il suivit le Roi en Moravie l'année 1742. Il reçut, en 1743, le régiment de cavalerie du prince Eugène d'Anhalt, et fut de la promotion des généraux-majors.34-a
<35>La seconde guerre, de 1745, lui fournit des occasions pour déployer ses vertus militaires : il battit avec sa brigade le général Nadasdy dans une affaire d'avant-garde auprès de Landeshut,35-a et le poursuivit jusqu'en Bohême. Peu de temps après, il fut blessé à la bataille de Friedeberg; il est superflu de dire qu'il y acquit de la gloire. Les exploits que fit la cavalerie prussienne en ce jour-là, sont trop connus pour les rappeler ici. Après l'expédition de Saxe, M. de Stille revint avec le Roi à Berlin, où il trouva M. de Maupertuis, devenu, depuis peu, président de l'Académie; il participa à la joie que tout notre corps ressentit d'avoir à sa tête un savant aussi illustre.35-b Les sciences et les arts se tiennent tous comme par la main : la méthode qui conduit un géomètre dans les profondeurs de la nature, ou qui guide un philosophe dans les ténèbres de la métaphysique, est la même pour tous les arts. M. de Stille, qui, avec le goût des sciences, s'était acquis cette méthode, voulut l'appliquer à un métier qu'il faisait avec succès, et qui, dans la guerre, l'avait couvert de gloire : il composa un ouvrage sur l'origine et les progrès de la cavalerie; ce que nous en avons vu, est plein de recherches curieuses et de détails pleins d'érudition. Il l'avait poussé jusqu'à l'an 1750, et la mort l'empêcha d'achever ce que ses recherches auraient eu de plus intéressant à nous apprendre. Le manuscrit est entre les mains de sa famille; ce serait une perte pour le public s'il était frustré de cet héritage.35-c
Depuis l'année 1750, M. de Stille se sentit attaqué d'un asthme qui, allant toujours en empirant, causa enfin sa mort le 19 d'octobre 1752. Il avait épousé Charlotte de Huss, fille du président de la régence de<36> Magdebourg; il laissa deux fils, qui sont officiers, et quatre filles, dont deux sont en bas âge.
Il avait le cœur serviable, plein de candeur et de désintéressement; sa sagesse était gaie, et sa joie était sage. Les talents de son esprit ne servaient qu'à relever les qualités de son cœur; né pour les arts comme pour la guerre, pour la cour comme pour la retraite, il était de ce petit nombre de gens qui ne devraient jamais mourir; mais comme la vertu ne se dérobe pas aux atteintes de la mort, il a su survivre à lui-même en laissant un nom cher aux arts et estimé des honnêtes gens.
33-a Auguste II. Voyez t. II, p. 5.
34-a M. de Stille, colonel et adjudant général depuis le 23 juin 1740, fut nommé général-major le 6 mars 1744, et quatre jours plus tard, il devint chef du régiment du prince Eugène (régiment de cuirassiers no 6 de la Stammliste de 1806). Le 3 septembre 1745, le Roi lui fit expédier un nouveau brevet de général-major, daté du 22 novembre 1743.
35-a Voyez t. III, p. 117.
35-b Ce mot si flatteur pour M. de Maupertuis a été écrit au moment où Voltaire, alors en disgrâce, l'accablait d'injures.
35-c Le Roi ne fait pas mention d'un ouvrage anonyme du général de Stille, ouvrage fort estimé, qui fut publié sous le titre suivant : Les campagnes du Roi, avec des réflexions sur les causes des événements. (Sans lieu d'impression) 1762, in-8.