<152>Machiavel allègue, en second lieu, l'exemple de Bernard de Milan pour insinuer aux princes qu'ils doivent récompenser et punir d'une manière éclatante, afin que toutes leurs actions aient un caractère de grandeur imprimé en elles. Les princes généreux ne manqueront point de réputation, principalement lorsque leur libéralité est une suite de leur grandeur d'âme, et non de leur amour-propre.
La bonté de leurs cœurs peut les rendre plus grands que toutes les autres vertus. Cicérona disait à César : « Vous n'avez rien de plus grand dans votre fortune que le pouvoir de sauver tant de citoyens, ni de plus digne de votre bonté que la volonté de le faire. » Il faudrait donc que les peines qu'un prince inflige fussent toujours au-dessous de l'offense, et que les récompenses qu'il donne fussent toujours au-dessus du service.
Mais voici une contradiction : le docteur de la politique veut, en ce chapitre, que ses princes tiennent leurs alliances, et dans le dix-huitième chapitre il les dégageait formellement de leur parole. Il fait comme ces diseurs de bonne aventure qui disent blanc aux uns et noir aux autres.
Si Machiavel raisonne mal sur tout ce que nous venons de dire, il parle bien sur la prudence que les princes doivent avoir de ne se point engager légèrement avec d'autres princes plus puissants qu'eux, qui, au lieu de les secourir, pourraient les abîmer.
C'est ce que savait un grand prince d'Allemagne, également estimé de ses amis et de ses ennemis. Les Suédois entrèrent dans ses États lorsqu'il en était éloigné avec toutes ses troupes pour secourir l'Empereur au Bas-Rhin, dans la guerre qu'il soutenait contre la France. Les ministres de ce prince lui conseillaient, à la nouvelle de cette irruption soudaine, d'appeler le czar de Russie à son secours. Mais ce prince, plus pénétrant qu'eux, leur répondit que les Moscovites étaient comme des ours qu'il ne fallait point déchaîner, de crainte de ne
a Pro Ligario, chap. XII.