<195>L'erreur de Machiavel sur la gloire des conquérants pouvait être générale de son temps, mais sa méchanceté ne l'était pas assurément. Il n'y a rien de plus affreux que certains moyens qu'il propose pour conserver des conquêtes; à les bien examiner, il n'y en aura pas un qui soit raisonnable ou juste. « On doit, dit ce monstre, éteindre la race des princes qui régnaient avant votre conquête. » Peut-on lire de pareils préceptes sans frémir d'horreur et d'indignation? C'est fouler aux pieds tout ce qu'il y a de saint et de sacré dans le inonde; c'est renverser de toutes les lois celle que les hommes doivent le plus respecter; c'est ouvrir à l'intérêt le chemin à toutes les violences et à tous les crimes; c'est approuver le meurtre, la trahison, l'assassinat, et ce qu'il y a de plus détestable dans l'univers. Comment des magistrats ont-ils pu permettre à Machiavel de publier son abominable politique? et comment a-t-on pu souffrir dans le inonde ce scélérat infâme qui renverse tout droit de possession et de sûreté, ce que les hommes ont de plus sacré, les lois de plus auguste, et l'humanité de plus inviolable? Puisqu'un ambitieux se sera emparé violemment des États d'un prince, il aura le droit de le faire assassiner, empoisonner! Mais ce même conquérant introduit, en agissant ainsi, une pratique dans le monde qui ne peut tourner qu'à sa propre confusion; un autre, plus ambitieux et plus habile que lui, le punira du talion, lui envahira ses États, et le fera périr avec la même injustice qu'il fit périr son prédécesseur. Quels débordements de crimes, quelles cruautés, quelles barbaries, qui désoleraient l'humanité! Une monarchie pareille serait comme un empire de loups, dont un tigre comme Machiavel mériterait d'être le législateur. S'il n'y avait que le crime dans le monde, il détruirait le genre humain; il n'y a point de sûreté pour les hommes sans la vertu.
« Un prince doit établir sa résidence dans ses nouvelles conquêtes. » C'est la seconde maxime de Machiavel pour fortifier le conquérant