<196> dans ses nouveaux États. Ceci n'est point cruel, et paraît même assez bon à quelques égards; mais l'on doit considérer que la plupart des États des grands princes sont situés de manière qu'ils ne peuvent pas trop bien en abandonner le centre sans que tout l'État s'en ressente-ils sont le premier principe d'activité dans ce corps, ainsi ils n'en peuvent quitter le centre sans que les extrémités ne languissent.
La troisième maxime du politique est, « Qu'il faut envoyer des colonies pour les établir dans les nouvelles conquêtes, qui serviront à en assurer la fidélité. » L'auteur s'appuie sur la pratique des Romains, et il croit triompher lorsqu'il trouve quelque part dans l'histoire des exemples d'injustices semblables à celles qu'il enseigne. Cette pratique des Romains était aussi injuste qu'ancienne. Par quel droit pouvaient-ils chasser de leurs maisons, de leurs terres et de leurs biens ceux qui les possédaient à juste titre? La raison de Machiavel est que l'on peut le faire avec impunité, puisque ceux que vous dépossédez sont pauvres et incapables de se venger. Quel raisonnement! Vous êtes puissant, ceux qui vous obéissent sont faibles; ainsi vous pouvez les opprimer sans crainte. Il n'y a donc que la peur, selon Machiavel, qui puisse retenir les hommes du crime. Mais quel est donc ce droit par lequel un homme puisse s'arroger un pouvoir si absolu sur ses semblables, que de disposer de leur vie, de leurs biens, et de les rendre misérables quand bon lui semble? Le droit de conquête ne s'étend pas assurément jusque-là. Les sociétés ne sont-elles formées que pour servir de victimes à la fureur d'un infâme intéressé ou ambitieux? Et ce monde n'est-il fait que pour assouvir la folie et la rage d'un tyran dénaturé? Je ne pense pas qu'un homme raisonnable soutienne jamais une semblable cause, à moins qu'une ambition immodérée ne l'aveugle et n'obscurcisse en lui les lumières du bon sens et de l'humanité.
Il est très-faux qu'un prince puisse faire le mal impunément; car, quand même ses sujets ne l'en puniraient pas d'abord, quand même