<210> que plus vague, plus indocile et plus insatiable. Si les honneurs, si la grandeur, servent d'aliments à la passion des particuliers, des provinces et des royaumes nourrissent l'ambition des monarques; et comme il est plus facile d'obtenir des charges et des emplois que de conquérir des royaumes, les particuliers peuvent encore plutôt se satisfaire que les princes.
Combien ne voit-on pas dans le monde de ces esprits inquiets et remuants dont l'impétuosité et le désir de s'agrandir voudraient bouleverser la terre, et où l'amour d'une fausse et vaine gloire n'a poussé que de trop profondes racines! Ce sont des brandons qu'on devrait éteindre avec soin, et qu'on devrait bien se garder de secouer, de crainte d'un incendie. Les maximes de Machiavel leur sont d'autant plus dangereuses, qu'elles flattent leurs passions, et qu'elles leur font naître des idées qu'ils n'auraient peut-être point puisées de leur fonds sans son secours.
Machiavel leur propose les exemples de Moïse, de Cyrus, de Romulus, de Thésée et d'Hiéron; on pourrait grossir facilement ce catalogue par ceux de quelques auteurs de sectes, comme de Mahomet, de Guillaume Penn : et que MM. les jésuites du Paraguay me permettent de leur offrir ici une petite place qui ne peut que leur être glorieuse, les mettant au nombre des héros.
La mauvaise foi avec laquelle l'auteur use de ces exemples mérite d'être relevée; il est bon de découvrir toutes les finesses et toutes les ruses de cet infâme séducteur.
Un homme de probité ne doit point présenter les objets sous un point de vue simplement; mais il en doit montrer toutes les faces, afin que rien ne puisse déguiser la vérité au lecteur, quand même cette vérité se trouverait contraire à ses principes. Machiavel ne fait voir, au contraire, l'ambition qu'en son beau jour; c'est un visage fardé qu'il ne fait paraître que le soir, à la bougie, et qu'il dérobe soigneusement aux rayons du soleil; il ne parle que des ambitieux