<211> qui ont été secondés de la fortune, mais il garde un profond silence sur ceux qui ont été les victimes de leurs passions, à peu près comme les couvents de vierges, qui, lorsqu'ils enrôlent de jeunes filles, leur font goûter par avance toutes les douceurs du ciel, sans leur parler de l'amertume et de la gêne qu'ils leur préparent en ce monde. Cela s'appelle en imposer au monde, c'est vouloir tromper le public, et l'on ne saurait disconvenir que Machiavel joue en ce chapitre le misérable rôle de charlatan du crime.
Pourquoi, en parlant du conducteur, du prince, du législateur des Juifs, du libérateur des Grecs, du conquérant des Mèdes, du fondateur de Rome, de qui les succès répondirent à leurs desseins, Machiavel n'y ajoute-t-il point l'exemple de quelques chefs de parti malheureux, pour montrer que, si l'ambition fait parvenir quelques hommes, elle en perd le plus grand nombre? On pourrait ainsi opposer à la fortune de Moïse le malheur de ces premiers peuples goths qui ravagèrent l'empire romain; au succès de Romulus l'infortune de Masaniello, boucher de Naples, qui s'éleva à la royauté par sa hardiesse, mais qui fut la victime de son crime; à l'ambition couronnée d'Hiéron l'ambition punie de Wallenstein; on placerait auprès du trône sanglant de Cromwell, meurtrier de son roi, le trône renversé du superbe Guise, qui fut assassiné à Blois. Ainsi l'antidote, suivant le poison de si près, préviendrait ses dangereux effets; ce serait la lance d'Achille, qui fait le mal et le guérit.
Il me semble, d'ailleurs, que Machiavel place assez inconsidérément Moïse avec Romulus, Cyrus et Thésée. Ou Moïse était inspiré, ou il ne l'était point. S'il ne l'était point, on ne peut regarder Moïse que comme un archiscélérat, un fourbe, un imposteur qui se servait de Dieu comme les poëtes des dieux de machines, qui font le dénoûment de la pièce, lorsque l'auteur est embarrassé. Moïse était, d'ailleurs, si peu habile, qu'il conduisit le peuple juif pendant quarante années par un chemin qu'ils auraient très-commodément fait en six