<215> il n'ait été coupable. Il fit assassiner son frère et son rival de gloire dans le monde et d'amour chez sa sœur; il fit massacrer les Suisses du pape, par vengeance contre quelques Suisses qui avaient offensé sa mère; il dépouilla une infinité de cardinaux et d'hommes riches, pour assouvir sa cupidité; il envahit la Romagne au duc d'Urbin, son possesseur, et fit mettre à mort le cruel d'Orco, son sous-tyran; il commit une affreuse trahison, à Sinigaglia, contre quelques princes dont il croyait la vie contraire à ses intérêts; il fit noyer une dame vénitienne dont il avait abusé. Mais que de cruautés ne se commirent point par ses ordres, et qui pourrait compter tout le nombre de ses crimes! Tel était l'homme que Machiavel préfère à tous les grands génies de son temps et aux héros de l'antiquité, et dont il trouve la vie et les actions dignes de servir d'exemple à ceux qu'élève la fortune.

J'ose prendre le parti de l'humanité contre celui qui veut la détruire, et je dois combattre Machiavel dans un plus grand détail, afin que ceux qui pensent comme lui ne trouvent plus de subterfuges, et qu'il ne reste aucun retranchement à leur méchanceté.

César Borgia fonda le dessein de sa grandeur sur la dissension des princes d'Italie; il résolut de les brouiller les uns avec les autres, afin de profiter de leurs dépouilles. C'est une complication de crimes affreux. Borgia ne trouvait rien d'injuste lorsque son ambition lui parlait; une chute après soi entraînait une autre chute.a Pour usurper sur les biens de mes voisins, il faut les affaiblir; et pour les affaiblir, il faut les brouiller : telle est la logique des scélérats.

Borgia voulait s'assurer d'un appui; il fallut donc qu'Alexandre VI accordât dispense de mariage à Louis XII, pour qu'il lui prêtât son secours. C'est ainsi que les ecclésiastiques se jouent souvent du monde, et qu'ils ne pensent qu'à leurs intérêts lorsqu'ils paraissent le plus attachés à celui des cieux. Si le mariage de Louis XII était de nature à être rompu, le pape l'aurait dû rompre, sans que la politique y eût


a Une chute toujours attire une autre chute. Boileau, Sat. X, v. 166.