<220> roi de Navarre en Espagne, où il périt par une de ces trahisons dont il avait tant fait d'usage pendant le cours de sa vie.
Ainsi s'évanouirent tant de desseins ambitieux et tant de projets prudemment conçus et secrètement cachés; ainsi tant de combats de meurtres, de cruautés, de parjures et de perfidies devinrent inutiles; tant de dangers personnels, tant de situations fâcheuses, tant de cas embarrassants dont Borgia se tira avec bonheur, ne servirent de rien à sa fortune, et rendirent sa chute plus grande et plus remarquable. Telle est l'ambition : ce fantôme promet des biens qu'il n'est pas en état de donner, et qu'il ne possède pas lui-même. L'homme ambitieux est comme un second Tantale qui, dans le fleuve même où il nage, ne peut et ne pourra jamais se désaltérer.
Est-ce la gloire que cherche un ambitieux? Cela est faux; car la fausse gloire est celle après laquelle on court, et la véritable même n'est qu'une once de fumée. Les grands hommes de nos jours se perdent parmi le nombre innombrable de ceux qui ont fait des actions grandes et héroïques, comme les eaux de ces petites rivières qu'on aperçoit tant qu'elles roulent dans leur lit, mais que l'on perd de vue lorsqu'à leur embouchure elles vont se confondre parmi les flots d'un immense océan.
Est-ce donc le bonheur que cherchent les ambitieux? Ils le trouveront encore moins que la gloire : leur chemin est semé d'épines et de ronces, et ils ne rencontrent que des soins, des chagrins et des travaux sans nombre. Le véritable bonheur est aussi peu naturellement attaché à la fortune que le corps d'Hector l'était au char d'Achille. Il n'y a de bonheur pour l'homme que dans l'homme même, et ce n'est que la sagesse qui lui fait découvrir ce trésor.