<222>Rien n'est plus séduisant que le mauvais exemple. La vie d'un Agathocles ou d'un Oliverotto de Fermo sont capables de développer en un homme que son instinct porte à la scélératesse ce germe dangereux qu'il renferme en soi sans le bien connaître. Combien de jeunes gens qui se sont gâté l'esprit par la lecture des romans, qui ne voyaient et ne pensaient plus que comme Gandalin ou Médor! Il y a quelque chose d'épidémique dans la façon de penser, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, qui se communique d'un esprit à l'autre. Cet homme extraordinaire, ce roi aventurier digne de l'ancienne chevalerie, ce héros vagabond dont toutes les vertus, poussées à un certain excès, dégénéraient en vices, Charles XII, en un mot, portait depuis sa plus tendre enfance la vie d'Alexandre le Grand sur soi,a et bien des personnes qui ont connu particulièrement cet Alexandre du Nord assurent que c'était Quinte-Curce qui ravagea la Pologne, que Stanislas devint roi d'après Porus,b et que la bataille d'Arbèles occasionna la défaite de Poltawa.
Me serait-il permis de descendre d'un aussi grand exemple à de moindres? Il me semble que, lorsqu'il s'agit de l'histoire de l'esprit humain, les différences des conditions et des états disparaissant, les rois ne sont que des hommes en philosophie, et tous les hommes sont égaux; il ne s'agit que des impressions ou des modifications, en général, qu'ont produites de certaines causes extérieures sur l'esprit humain.
Toute l'Angleterre sait ce qui arriva à Londres il y a quelques années : on y représenta une assez mauvaise comédie sous le titre de Cartouche; le sujet de cette pièce était l'imitation de quelques tours de souplesse et de filouteries de ce célèbre voleur. Il se trouva que beaucoup de personnes s'aperçurent, au sortir de ces représentations, de la perte de leurs bagues, de leurs tabatières ou de leurs
a Voyez t. VII, p. 84
b L'Auteur veut dire Abdolonyme. Voyez Quinte-Curce, livre IV, chap. I.