« <226> toutes les actions de Borgia, il est difficile de le blâmer. » Ibid. « Il ne pouvait se conduire autrement qu'il a fait. » Me serait-il permis de demander à l'auteur en quoi Agathocles diffère de César Borgia? Je ne vois en eux que mêmes crimes et même méchanceté. Si l'on faisait le parallèle, on ne serait embarrassé que de décider lequel des deux fut le plus scélérat.
La vérité oblige cependant Machiavel de faire de temps en temps des aveux où il paraît faire amende honorable à la vertu. La force de l'évidence l'oblige de dire, « Qu'un prince doit se conduire d'une manière toujours uniforme, afin qu'en des temps malheureux il ne se voie point obligé de relâcher quelque chose pour faire plaisir à ses sujets, car en ce cas sa douceur extorquée serait sans mérite, et ses peuples ne lui en sauraient aucun gré. » Ainsi, Machiavel, la cruauté et l'art de se faire craindre ne sont donc point les uniques ressorts de la politique, comme vous paraissez l'insinuer, et vous convenez vous-même que l'art de gagner les cœurs est le fondement le plus solide de la sûreté d'un prince et de la fidélité de ses sujets. Je n'en demande pas davantage; cet aveu de la bouche de mon ennemi doit me suffire. C'est peu se respecter soi-même et le public que de produire et de publier un ouvrage informe, sans liaison, sans ordre, et rempli de contradictions. Le Prince de Machiavel, en faisant même abstraction de sa pernicieuse morale, ne peut mériter que du mépris à l'auteur, ce n'est proprement qu'un rêve où toutes sortes d'idées s'entre-heurtent et s'entre-choquent, ce sont des accès de rage d'un insensé qui a quelquefois des intervalles de bon sens.
Telle est la récompense de la scélératesse, que ceux qui suivent le crime au préjudice de la vertu, s'ils échappent même à la rigueur des lois, perdent comme Machiavel le jugement et la raison.