<234> de grands seigneurs qu'avec leurs domestiques. Ce qu'on pourrait leur conseiller de meilleur serait, ce me semble, de diminuer en quelque chose l'opinion infinie qu'ils ont de leur grandeur, de la vénération extrême qu'ils ont pour leur ancienne et illustre race, et du zèle inviolable qu'ils ont pour leurs armoiries. Les personnes sensées disent qu'ils feraient mieux de ne figurer dans le monde que comme des particuliers qui sont bien à leur aise, de quitter une bonne fois les échasses sur lesquelles leur orgueil les monte, de n'entretenir tout au plus qu'une garde suffisante pour chasser les voleurs de leurs châteaux, en cas qu'il y en eût d'assez affamés pour y chercher subsistance, et de raser les remparts, les murailles et tout ce qui peut donner l'air d'une place forte à leur résidence.
En voici les raisons : la plupart des petits princes, et nommément ceux d'Allemagne, se ruinent par la dépense, excessive à proportion de leurs revenus, que leur fait faire l'ivresse de leur vaine grandeur; ils s'abîment pour soutenir l'honneur de leur maison, et ils prennent par vanité le chemin de la misère et de l'hôpital; il n'y a pas jusqu'au cadet du cadet d'une ligne apanagée qui ne s'imagine d'être quelque chose de semblable à Louis XIV : il bâtit son Versailles, il baise sa Maintenon, et il entretient ses armées.
Il y a actuellement un certain prince d'Allemagne apanagé d'une grande maisona qui, par un raffinement de grandeur, entretient exactement à son service tous les corps de troupes qui composent la maison du Roi, mais cela si fort en diminutif, qu'il faut un microscope pour apercevoir chacun de ces corps en particulier; son armée serait peut-être assez forte pour représenter une bataille sur le théâtre de Vérone; mais passé cela, ne lui en demandez pas davantage.
J'ai dit, en second lieu, que les petits princes faisaient mal de fortifier leur résidence, et la raison en est toute simple : ils ne sont pas dans le cas de pouvoir être assiégés par leurs semblables, puisque des
a Voyez ci-dessus, p. 105.