<254> matière. Ce sera comme une espèce de digression à l'occasion de la chasse; et puisque ce plaisir est la passion presque générale des nobles des grands seigneurs et des rois, il me semble qu'elle mérite quelque discussion.
La plupart des rois et des princes passent du moins les trois quartsa de leur vie à courir les bois, à poursuivre les animaux et à les tuer. Si cet ouvrage tombe entre leurs mains, quoique je n'aie pas assez d'amour-propre pour présumer qu'ils veuillent sacrifier à cette lecture un temps qu'ils emploient, d'ailleurs, si utilement pour le bien du genre humain, je les prie de souffrir que l'amour de la vérité qui me conduit fasse l'apologie de mes sentiments, en cas qu'ils se trouvent contraires aux leurs. Je ne compose point un éloge flatteur, ma plume n'est point vénale, mon dessein est, en écrivant cet ouvrage, de me satisfaire en disant avec toute la liberté possible les vérités dont je suis convaincu, ou les choses qui me paraissent raisonnables. S'il se trouve, après tout, un lecteur d'un goût assez dépravé pour ne point aimer la vérité, ou pour ne point vouloir que l'on combatte sa façon de penser, il n'a qu'à jeter mon livre, personne assurément ne l'obligera de le lire.
Je reviens à mon sujet. La chasse est un de ces plaisirs sensuels qui agitent beaucoup le corps, et qui ne disent rien à l'esprit; c'est un exercice et une adresse meurtrière qui se met en usage aux dépens des animaux sauvages; c'est une dissipation continuelle, un plaisir tumultueux qui remplit le vide de l'âme, et qui la rend incapable, en ce temps, de toute autre réflexion; c'est un désir vif et ardent de poursuivre quelque bête fauve, et une satisfaction cruelle et sanguinaire de la tuer : en un mot, c'est un amusement qui rend le corps robuste et dispos, et qui laisse l'esprit en friche et sans culture.
Les chasseurs me reprocheront, sans doute, que je prends les choses sur un ton trop sérieux, que je fais le critique grave et sévère,
a Le mot « quarts » est omis dans notre autographe.