<255> et que je suis dans le cas des prêtres, qui, ayant le privilége de parler seuls dans les chaires, ont la facilité de prouver tout ce que bon leur semble, sans appréhender d'opposition.
Je ne me prévaudrai point de ces avantages, et j'alléguerai de bonne foi les raisons spécieuses qu'allèguent les amateurs de la chasse. Ils me diront d'abord que la chasse est le plaisir le plus noble et le plus ancien des hommes; que des patriarches et même beaucoup de grands hommes ont été chasseurs; et qu'en chassant, les hommes continuent à exercer ce même pouvoir sur les bêtes, que Dieu daigna donner lui-même à Adam. Je conviens que la chasse peut être aussi ancienne, s'ils veulent, que le monde; cela prouve qu'on a chassé dès longtemps; mais pour cela, ce qui est vieux n'en est pas meilleur. De grands hommes ont aimé la chasse, je l'avoue; ils ont eu leurs défauts comme leurs faiblesses : imitons ce qu'ils ont eu de grand, et ne copions point leurs minuties.
Les patriarches ont chassé, c'est une vérité; j'avoue encore qu'ils ont épousé leurs sœurs, que la polygamie était en usage de leur temps. Mais ces bons patriarches et nos chers ancêtres se ressentaient beaucoup des siècles barbares dans lesquels ils vivaient : ils étaient très-grossiers et très-ignorants; c'étaient des gens oisifs qui, ne sachant point s'occuper, et pour tuer le temps qui leur paraissait toujours trop long, promenaient leurs ennuis à la chasse; ils perdaient dans les bois, à la poursuite des bêtes, les moments qu'ils n'avaient ni la capacité ni l'esprit de passer en compagnie de personnes raisonnables.
Je demande si ce sont des exemples à imiter, si la grossièreté doit instruire la politesse, ou si ce n'est pas plutôt aux siècles éclairés à servir de modèle aux autres.
Qu'Adam ait reçu l'empire sur les bêtes, ou non, c'est ce que je ne recherche pas; mais je sais bien que nous sommes plus cruels et plus rapaces que les bêtes mêmes, et que nous usons très-tyranniquement de ce prétendu empire. Si quelque chose devait nous donner de