<262> donner ou abolir leurs passions. Le mécanisme du corps humain démontre que notre gaieté, notre tristesse, notre douceur, notre colère notre amour, notre indifférence, notre sobriété, ou notre intempérance, en un mot, toutes nos passions ne dépendent que de l'arrangement de certains organes de notre corps, de la construction plus ou moins déliée de quelques petites fibres et de quelques membranes de l'épaisseur ou de la fluidité de notre sang, de la facilité ou de l'embarras de sa circulation, de la force de notre cœur, de la nature de notre bile, de la grandeur de notre estomac, etc. Or, je demande si toutes ces parties de notre corps seront assez dociles pour se conformer aux lois de notre intérêt, et s'il n'est pas plus raisonnable de présumer qu'elles n'en feront rien. Machiavel trouverait, d'ailleurs, beaucoup d'hérétiques qui préféreraient le dieu d'Épicure au dieu de César.
L'unique raison légitime qui puisse engager un être raisonnable à lutter contre les passions qui le flattent, c'est le propre bien qu'il en retire et l'avantage de la société. Les passions avilissent notre nature lorsque nous nous y abandonnons, et elles ruinent notre corps, si nous leur lâchons le frein : il faut les modérer sans les détruire, et les tourner toutes au bien de la société, en les faisant simplement changer d'objet; et quand même nous ne remporterions pas sur elles des batailles rangées, le moindre avantage doit nous suffire à l'envisager comme un commencement de l'empire que nous exerçons sur nous-mêmes.
Je dois encore faire remarquer au lecteur une contradiction très-grossière où Machiavel tombe en ce chapitre. Il a dit dans le commencement, « Qu'il y a si loin de ce que l'on fait à ce qu'on devrait faire, que tout homme qui réglera sa conduite sur l'idée du devoir des hommes, et non pas sur ce qu'ils sont en effet, ne manquera pas de périr. » L'auteur avait peut-être oublié la façon dont il s'exprime dans son sixième chapitre; il dit : « Comme il est impossible d'arriver »