<27> dès qu'une de ces deux matières prédomine, le corps s'en ressent, et la santé en est considérablement altérée. Et si cette matière augmente encore, elle peut causer la destruction totale de la machine. Ainsi, dès que la politique et la prudence des princes de l'Europe perd de vue le maintien d'une juste balance entre les puissances dominantes, la constitution de tout ce corps politique s'en ressent : la violence se trouve d'un côté, la faiblesse de l'autre; chez l'un, le désir de tout envahir, chez l'autre, l'impossibilité de l'empêcher; le plus puissant impose des lois, le plus faible est dans la nécessité d'y souscrire; enfin tout concourt à augmenter le désordre et la confusion; le plus fort, comme un torrent impétueux, se déborde, entraîne tout, et expose ce malheureux corps aux révolutions les plus funestes.
Ce sont là, en peu de mots, les considérations que m'a fournies l'état présent de l'Europe. Si quelque puissance trouve que je me suis expliqué avec trop de liberté, elle doit savoir que le fruit conserve toujours un goût de terroir, et que, né dans un pays libre, il m'est permis de m'énoncer avec une noble hardiesse et avec une sincérité incapable de feindre, que la plupart des hommes ne connaissent point, et qui paraîtra peut-être criminelle à ceux qui, nés dans la servitude, ont été élevés dans l'esclavage.
Après avoir repassé la conduite des politiques de l'Europe, après avoir développé le système des cours selon l'étendue de mes lumières, et fait voir les dangereuses suites de l'ambition de quelques princes, j'ose pousser la sonde plus avant dans la plaie de ce corps politique; je poursuivrai le mal jusque dans ses racines, et je m'efforcerai d'en découvrir les causes les plus cachées. Si mes réflexions ont le bonheur de parvenir aux oreilles de quelques princes, ils y trouveront des vérités qu'ils n'auraient jamais apprises par la bouche de leurs courtisans et de leurs flatteurs; peut-être seront-ils même étonnés de voir ces vérités se placer auprès d'eux sur le trône. Qu'ils apprennent