<279> l'auteur dit, un moment après, que les hommes dissimulés trouveront toujours des hommes assez simples pour les abuser. Comment cela s'accorde-t-il? Tous les hommes sont des scélérats, et vous trouverez des hommes assez simples pour les abuser! Voilà pour la contradiction. Et quant au raisonnement, il ne vaut pas mieux, car il est très-faux que le monde ne soit composé que de scélérats. Il faut être bien misanthrope pour ne point voir que dans toute société il y a beaucoup d'honnêtes gens, que le grand nombre des personnes n'est ni bon ni mauvais, et qu'il y a quelques coquins que la justice poursuit, et qu'elle châtie sévèrement, si elle les attrape. Mais si Machiavel n'avait pas supposé le monde scélérat, sur quoi aurait-il fondé son abominable maxime? On voit que l'engagement dans lequel il était de dogmatiser la fourberie l'obligeait en honneur d'agir ainsi; et il a cru qu'il était permis d'abuser les hommes lorsqu'on leur enseigne à tromper. Quand même nous supposerions les hommes aussi méchants que le veut Machiavel, il ne s'ensuivrait pourtant point que nous devons les imiter. Que Cartouche vole, pille et assassine, j'en conclus que Cartouche est un malheureux coquin, et non pas que je dois régler ma conduite sur la sienne. S'il n'y avait plus d'honneur et de vertu dans le monde, dit un historien,a ce serait chez les princes qu'on en devrait retrouver les traces. En un mot, aucune considération ne saurait être assez puissante pour engager un honnête homme à s'écarter de son devoir.
Après que l'auteur a prouvé la nécessité du crime, il veut encourager ses disciples par la facilité de le commettre. « Ceux qui entendent bien l'art de dissimuler, dit-il, trouveront toujours des hommes assez simples pour être dupés : » ce qui se réduit à ceci : votre voisin est un sot, et vous avez de l'esprit; donc il faut que vous le dupiez, parce qu'il est un sot. Ce sont des syllogismes pour lesquels des écoliers de Machiavel ont été pendus et roués en Grève.
a Voyez ci-dessus, p. 135.