<28> donc que leurs faux principes sont la source la plus empoisonnée des malheurs de l'Europe. Voici l'erreur de la plupart des princes. Ils croient que Dieu a créé exprès, et par une attention toute particulière pour leur grandeur, leur félicité et leur orgueil, cette multitude d'hommes dont le salut leur est commis, et que leurs sujets ne sont destinés qu'à être les instruments et les ministres de leurs passions déréglées. Dès que le principe dont on part est faux, les conséquences ne peuvent être que vicieuses à l'infini; et de là cet amour déréglé pour la fausse gloire, de là ce désir ardent de tout envahir, de là la dureté des impôts dont le peuple est chargé, de là la paresse des princes, leur orgueil, leur injustice, leur inhumanité, leur tyrannie, et tous ces vices qui dégradent la nature humaine. Si les princes se défaisaient de ces idées erronées, et qu'ils voulussent remonter jusqu'au but de leur institution, ils verraient que ce rang dont ils sont si jaloux, que leur élévation n'est que l'ouvrage des peuples; que ces milliers d'hommes qui leur sont commis ne se sont point faits esclaves d'un seul homme afin de le rendre plus formidable et plus puissant; qu'ils ne se sont point soumis à un citoyen pour être les martyrs de ses caprices et les jouets de ses fantaisies : mais qu'ils ont choisi celui d'entre eux qu'ils ont cru le plus juste pour les gouverner, le meilleur pour leur servir de père, le plus humain pour compatir à leurs infortunes et les soulager, le plus vaillant pour les défendre contre leurs ennemis, le plus sage afin de ne les point engager mal à propos dans des guerres destructives et ruineuses, enfin l'homme le plus propre à représenter le corps de l'État, et en qui la souveraine puissance pût servir d'appui aux lois et à la justice, et non de moyen pour commettre impunément les crimes et pour exercer la tyrannie. Ce principe ainsi établi, les princes éviteraient constamment les deux écueils qui de tout temps ont causé la ruine des empires et bouleversé le monde, savoir, l'ambition démesurée et la lâche négligence