« <281> je refuse de tromper le duc de Savoie, d'autant plus qu'il n'y va que d'une bagatelle; on sait dans le monde que je suis honnête homme; réservez donc ma probité pour une occasion où il s'agira du salut de la France. »
Je ne parle point, en ce moment, de l'honnêteté ni de la vertu; mais, ne considérant simplement que l'intérêt des princes, je dis que c'est une très-mauvaise politique de leur part d'être fourbes et de duper le monde : ils ne dupent qu'une fois, ce qui leur fait perdre la confiance de tous les princes.
Une certaine puissance,a dans un manifeste, déclara positivement les raisons de sa conduite, et elle agit ensuite d'une manière qui était tout opposée à ce manifeste. J'avoue que des traits aussi frappants que ceux-là aliènent entièrement la confiance; car, plus la contradiction se suit de près, et plus elle est grossière. L'Église romaine, pour éviter une contradiction pareille, a très-sagement fixé à ceux qu'elle place au nombre des saints le noviciat de cent années après leur mort; moyennant quoi la mémoire de leurs défauts et de leurs extravagances périt avec eux; les témoins de leur vie, et ceux qui pourraient déposer contre eux, ne subsistent plus, et rien ne s'oppose à l'idée de sainteté qu'on en veut donner au public.
Mais qu'on me pardonne cette digression. J'avoue, d'ailleurs, qu'il y a des nécessités fâcheuses où un prince ne saurait s'empêcher de rompre ses traités et ses alliances; il doit cependant le faire de bonne manière, en avertissant ses alliés à temps, et non sans que le salut de ses peuples et une très-grande nécessité l'y obligent.
Ces contradictions si voisines que je viens de reprocher il y a un moment à une certaine puissance se trouvent en très-grand nombre chez Machiavel; il dit, dans un même paragraphe, premièrement : « Il est nécessaire de paraître pitoyable, fidèle, doux, religieux et droit, et il faut l'être en effet; » et ensuite : « Il est impossible à un prince »
a Voyez ci-dessus, p. 137.