<294> nouveau souverain trouvera la facilité, après son élévation, d'acheter ceux qui lui ont été opposés, comme il s'est rendu favorables ceux qui l'ont élu. La Pologne nous en fournit des exemples : on y trafique si grossièrement du trône, qu'il semble que cet achat se fasse aux marchés publics, et la libéralité d'un roi de Pologne écarte de son chemin toute opposition; il est le maître de gagner les grandes familles par des palatinats, des starosties et d'autres charges qu'il confère. Mais comme les Polonais ont sur le sujet des bienfaits la mémoire très-courte, il faut revenir souvent à la charge; en un mot, la république de Pologne est comme le tonneau des Danaïdes : le roi le plus généreux répandra vainement ses bienfaits sur eux, il ne les remplira jamais. Cependant, comme un roi de Pologne a beaucoup de grâces à faire, il peut se ménager des ressources fréquentes, en ne faisant ses libéralités que dans les occasions où il a besoin des familles qu'il enrichit.
La troisième question de Machiavel regarde proprement la sûreté d'un prince dans un royaume héréditaire : s'il vaut mieux qu'il entretienne l'union ou l'animosité parmi ses sujets.
Cette question pouvait peut-être avoir lieu du temps des ancêtres de Machiavel, à Florence; mais à présent, je ne pense pas qu'aucun politique l'adoptât toute crue et sans la mitiger. Je n'aurais qu'à citer le bel apologue si connu de Ménénius Agrippa, par lequel il réunit le peuple romain. Les républiques, cependant, doivent en quelque façon entretenir de la jalousie entre leurs membres, car, s'ils s'unissent tous, la forme de leur gouvernement change en monarchie. Cela ne doit point se communiquer aux particuliers auxquels la désunion est préjudiciable, mais seulement à ceux qui pourraient, en s'unissant le plus facilement, ravir l'autorité suprême.
Il y a des princes qui croient la désunion de leurs ministres nécessaire pour leur intérêt; ils pensent être moins trompés par des hommes qu'une haine mutuelle tient d'autant plus en garde sur leur