<303> de transporter ces marchandises à meilleurs frais, et de pouvoir les vendre à meilleur marché.

Quant aux manufactures de toutes espèces, c'est peut-être ce qu'il y a de plus utile et de plus profitable à un État, puisque, par elles, on suffit aux besoins et au luxe des habitants, et que les voisins sont même obligés de payer tribut à votre industrie; elles empêchent, d'un côté, que l'argent sorte du pays, et elles en font rentrer de l'autre.a

Je me suis toujours persuadé que le défaut de manufactures avait causé en partie ces prodigieuses émigrations des pays du Nord, de ces Goths, de ces Vandales qui inondèrent si souvent les pays méridionaux. Dans ces temps reculés, on ne connaissait d'arts en Suède, en Danemark, et dans la plus grande partie de l'Allemagne, que l'agriculture; les terres labourables étaient partagées entre un certain nombre de propriétaires qui les cultivaient, et qu'elles pouvaient nourrir.

Mais comme la race humaine a de tout temps été très-féconde dans ces pays froids, il arrivait qu'il y avait deux fois plus d'habitants dans un pays qu'il n'en pouvait subsister par le labourage; et ces cadets de bonne maison s'attroupaient alors, et faisaient les chevaliers d'industrie par nécessité, ravageaient d'autres pays, et en dépossédaient les maîtres. Aussi voit-on, dans l'histoire de l'empire d'Orient et d'Occident, que ces barbares ne demandaient, pour l'ordinaire, que des champs pour cultiver, afin de fournir à leur subsistance. Les pays du Nord ne sont pas moins peuplés qu'ils l'étaient alors; mais comme le luxe a très-sagement multiplié nos besoins, il a donné lieu à des manufactures et à tous ces arts qui font subsister des peuples entiers, qui, autrement, seraient obligés de chercher leur subsistance ailleurs.

Ces manières donc de faire prospérer un État sont comme des talents confiés à la sagesse du souverain, qu'il doit mettre à usure et faire valoir. La marque la plus sûre d'un pays qui, sous un gouver-


a Voyez, t. VI, p. 86.