<39>drait des anges pour philosopher, me dit vivement Philante; car où trouver un homme sans prévention et parfaitement impartial?
- Ainsi, lui dis-je, l'erreur est notre partage. - A Dieu ne plaise! reprit mon ami; nous sommes faits pour la vérité. - Je vous prouverai bien le contraire, si vous voulez vous donner la patience de m'écouter, lui dis-je; et pour cet effet, comme nous voici proche de la maison, nous nous asseyerons sur ces bancs, car je vous crois fatigué de la promenade.
Philante, qui n'est pas trop bon piéton, et qui avait plutôt marché par distraction et machinalement que de propos délibéré, fut charmé de s'asseoir. Nous nous plaçâmes tranquillement, et je repris à peu près ainsi.
Je vous ai dit, Philante, que l'erreur était notre partage; je dois vous le prouver. Cette erreur a plus d'une source. Il paraît que le Créateur ne nous a pas destinés pour posséder beaucoup de science et pour faire un grand chemin dans le pays des connaissances : il a placé les vérités dans des abîmes que nos faibles lumières ne sauraient approfondir, et il les a entourées d'une épaisse haie d'épines. La route de la vérité offre des précipices de tous côtés; on ne sait quel sentier suivre pour éviter ces dangers; et si l'on est assez heureux pour les avoir franchis, on trouve sur son chemin un labyrinthe où le fil merveilleux d'Ariane n'est d'aucun usage, et d'où on ne peut jamais se tirer. Les uns courent après un fantôme imposteur qui les trompe par ses prestiges, et leur donne pour bonne monnaie ce qui est de faux aloi; ils s'égarent, semblables à ces voyageurs qui suivent dans l'obscurité les feux follets dont la clarté les séduit. D'autres devinent ces vérités si secrètes; ils croient arracher le voile de la nature, ils font des conjectures, et c'est un pays où il faut avouer que les philosophes ont fait de grandes conquêtes. Les vérités sont placées si loin de notre vue, qu'elles deviennent douteuses, et prennent de leur éloignement même un air équivoque. Il n'en est presque aucune qui n'ait