<58> s'abaisse qu'avec grâce et dignité. Quelle vivacité dans les peintures, quelle force dans les caractères et dans les descriptions, et quelle noblesse dans les détails! Le combat du jeune Turennea doit faire en tout temps l'admiration des lecteurs. C'est dans cette peinture de l'escrime, dans ces coups portés, parés, rendus et reçus, que M. de Voltaire a trouvé principalement des obstacles dans le génie de sa langue; il s'en est cependant tiré avec toute la gloire possible; il transporte le lecteur sur le champ de bataille, et il vous semble plutôt voir un combat qu'en lire la description en vers.

Quant à la saine morale, quant à la beauté des sentiments, on trouve dans ce poëme tout ce qu'on peut désirer. La valeur prudente de Henri IV, ainsi que sa générosité et son humanité, devraient servir d'exemple à tous les rois et à tous les héros, qui se piquent quelquefois mal à propos de dureté et de brutalité envers ceux que le destin des États ou le sort de la guerre a soumis à leur puissance; qu'il leur soit dit en passant que ce n'est point dans l'inflexibilité ni dans la tyrannie que consiste la vraie grandeur, mais bien dans ces sentiments que l'auteur exprime avec tant de noblesse :

Amitié, don du ciel, plaisir des grandes âmes;
Amitié, que les rois, ces illustres ingrats,
Sont assez malheureux pour ne connaître pas!b

Le caractère de Philippe de Mornay peut aussi être compté parmi les chefs-d'œuvre de la Henriade. Ce caractère est tout nouveau. Un philosophe guerrier, un soldat humain, un courtisan vrai et sans flatterie, un assemblage de vertus aussi rares doit mériter nos suffrages; aussi l'auteur y a-t-il puisé comme dans une riche source de sentiments. Que j'aime à voir Philippe de Mornay, ce fidèle et stoïque ami, à côté de son jeune et vaillant maître, repousser partout la mort


a Chant X, v. 107.

b Chant VIII, v. 322-324.