<78> sujets, ce qui affaiblit vos forces. Si vous envoyez des colonies faibles dans ce pays conquis, elles vous en garantiront mal la possession; ainsi vous aurez rendu malheureux ceux que vous chassez, sans y profiter beaucoup.
On fait donc bien mieux d'envoyer des troupes dans les pays que l'on vient de se soumettre, lesquelles, moyennant la discipline et le bon ordre, ne pourront point fouler les peuples, ni être à charge aux villes où on les met en garnison. Cette politique est meilleure, mais elle ne pouvait être connue du temps de Machiavel : les souverains n'entretenaient point de grandes armées : les troupes n'étaient pour la plupart qu'un amas de bandits, qui pour l'ordinaire ne vivaient que de violences et de rapines; on ne connaissait point alors ce que c'était que des troupes continuellement sous le drapeau en temps de paix, des étapes, des casernes, et mille autres règlements qui assurent un État pendant la paix, et contre ses voisins, et même contre les soldats payés pour le défendre.
« Un prince doit attirer à lui et protéger les petits princes ses voisins, semant la dissension parmi eux afin d'élever ou d'abaisser ceux qu'il veut. » C'est la quatrième maxime de Machiavel, et c'est ainsi qu'en usa Clovis, le premier roi barbare qui se fit chrétien. Il a été imité par quelques princes non moins cruels; mais quelle différence entre ces tyrans et un honnête homme qui serait le médiateur de ces petits princes, qui terminerait leurs différends à l'amiable, qui gagnerait leur confiance par sa probité, et par les marques d'une impartialité entière dans leurs démêlés et d'un désintéressement parfait pour sa personne! Sa prudence le rendrait le père de ses voisins au lieu de leur oppresseur, et sa grandeur les protégerait au lieu de les abîmer.
Il est vrai, d'ailleurs, que des princes qui ont voulu élever d'autres princes avec violence se sont abîmés eux-mêmes; notre siècle en a fourni deux exemples. L'un est celui de Charles XII, qui éleva Sta-