<88> plus facile d'obtenir des charges et des emplois que de conquérir des royaumes, les particuliers peuvent encore plutôt se satisfaire que les princes.
Machiavel leur propose les exemples de Moïse, de Cyrus, de Romulus, de Thésée et d'Hiéron; on pourrait grossir facilement ce catalogue par ceux de quelques auteurs de sectes, comme de Mahomet en Asie, de Manco-Capac en Amérique, d'Odin dans le Nord, de tant de sectaires dans tout l'univers; et que les jésuites du Paraguay me permettent de leur offrir ici une petite place qui ne peut que leur être glorieuse, les mettant au nombre des législateurs.
La mauvaise foi avec laquelle l'auteur use de ces exemples mérite d'être relevée; il est bon de découvrir toutes les finesses et toutes les ruses de ce séducteur.
Machiavel ne fait voir l'ambition que dans son beau jour, si elle en a un; il ne parle que des ambitieux qui ont été secondés de la fortune; mais il garde un profond silence sur ceux qui ont été les victimes de leurs passions. Cela s'appelle en imposer au monde, et l'on ne saurait disconvenir que Machiavel ne joue en ce chapitre le rôle de charlatan du crime.
Pourquoi, en parlant du législateur des Juifs, du premier monarque d'Athènes, du conquérant des Mèdes, du fondateur de Rome, de qui les succès répondirent à leurs desseins, Machiavel n'ajoute-t-il point l'exemple de quelques chefs du parti malheureux, pour montrer que, si l'ambition fait parvenir quelques hommes, elle en perd le plus grand nombre? N'y a-t-il pas eu un Jean de Leyde, chef des anabaptistes, tenaillé, brûlé, et pendu dans une cage de fer à Münster? Si Cromwell a été heureux, son fils n'a-t-il pas été détrôné, n'a-t-il pas vu porter au gibet le corps exhumé de son père? Trois ou quatre Juifs qui se sont dits Messies n'ont-ils pas péri par le dernier supplice, et le dernier n'a-t-il pas fini par être valet de cuisine chez le Grand