<89> Seigneur, après s'être fait musulman? Si Pepin détrôna son roi avec l'approbation du pape, Guise le Balafré, qui voulait détrôner le sien avec la même approbation, n'a-t-il pas été assassiné? Ne compte-t-on pas plus de trente chefs de secte, et plus de mille autres ambitieux, qui ont fini par des morts violentes?
Il me semble, d'ailleurs, que Machiavel place assez inconsidérément Moïse avec Romulus, Cyrus et Thésée. Ou Moïse était inspiré, ou il ne l'était point. S'il ne l'était point, ce qu'on n'a garde de supposer, on ne pourrait le regarder alors que comme un imposteur qui se servait de Dieu à peu près comme les poëtes emploient leurs dieux pour machine quand il leur manque un dénoûment. Moïse était, d'ailleurs, si peu habile, à raisonner humainement, qu'il conduisit le peuple juif pendant quarante années par un chemin qu'ils auraient très-commodément fait en six semaines; il avait très-peu profité des lumières des Égyptiens, et il était, en ce sens-là, beaucoup inférieur à Romulus, et à Thésée, et à ces héros. Si Moïse était inspiré de Dieu, comme il se voit sans doute, on ne peut le regarder que comme l'organe aveugle de la toute-puissance divine; et le conducteur des Juifs était, en ce sens, bien inférieur comme homme au fondateur de l'empire romain, au monarque persan, et aux héros qui faisaient par leur propre valeur et par leurs propres forces de plus grandes actions que l'autre n'en faisait avec l'assistance immédiate de Dieu.
J'avoue, en général, et sans prévention, qu'il faut beaucoup de génie, de courage, d'adresse et de conduite pour égaler les hommes dont nous venons de parler; mais je ne sais point si l'épithète de vertueux leur convient. La valeur et l'adresse se trouvent également chez les voleurs de grand chemin et chez les héros; la différence qui est entre eux, c'est que le conquérant est un voleur illustre, et que le voleur ordinaire est un faquin obscur; l'un reçoit des lauriers pour prix de ses violences, et l'autre, la corde.