I. CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTAT PRÉSENT DU CORPS POLITIQUE DE L'EUROPE.[Titelblatt]
<2><3>CONSIDÉRATIONS SUR L'ÉTAT PRÉSENT DU CORPS POLITIQUE DE L'EUROPE.
Jamais les affaires publiques n'ont plus mérité l'attention de l'Europe qu'à présent. Après la fin des grandes guerres, la situation des empires change, et leurs vues politiques changent en même temps : de nouveaux projets se font, de nouvelles alliances se traitent, et chacun en particulier prend les arrangements qu'il croit les plus propres à l'exécution de ses desseins ambitieux.
S'il est digne de la curiosité d'un homme raisonnable de pénétrer dans les secrets des cœurs, d'en approfondir les abîmes et de découvrir les effets dans leurs causes, il est nécessaire qu'un prince, pour peu qu'il figure dans l'Europe, ait l'œil sur la conduite des cours, qu'il soit informé des vrais intérêts des royaumes, et que sa prévoyance arrache, pour ainsi dire, à la politique des ministres des cours les desseins que leur sagesse prépare, et que leur dissimulation cache aux yeux du public.
Comme un habile mécanicien ne se contenterait pas de voir l'extérieur d'une montre, qu'il l'ouvrirait, qu'il en examinerait les ressorts et les mobiles, ainsi un habile politique s'applique à connaître les principes permanents des cours, les ressorts de la politique de<4> chaque prince, les sources des événements; il ne donne rien au hasard; son esprit transcendant prévoit l'avenir, et pénètre par l'enchaînement des causes jusque dans les siècles les plus reculés; en un mot, il est de la prudence de tout connaître, pour pouvoir tout juger et tout prévenir.
Vu l'état léthargique de plusieurs princes de l'Europe, j'ai cru qu'il ne serait pas hors de propos de faire un exposé de la situation présente où se trouve ce corps politique, non point que j'aie la présomption de me croire plus éclairé qu'une infinité de ministres dont les vastes connaissances et la longue routine des affaires me paraîtront toujours respectables et infiniment supérieures à mes faibles lumières, mais simplement pour communiquer mes idées au public, et lui faire part de mes pensées. Si mes raisonnements se trouvent justes, on en pourra profiter, et voilà tout ce que je demande; s'ils se trouvent peu conséquents et faux, on n'a qu'à les rejeter : du moins me serai-je amusé en les faisant.
Pour avoir une idée juste de ce qui se passe à présent en Europe, il faudra prendre les choses de plus haut, et remonter jusqu'à la source des affaires.
A la fin de la campagne de l'année 1735, les négociations entre les cours de Vienne et de Versailles prirent leur commencement; les opérations de guerre furent suspendues, et les intérêts des deux cours, au lieu d'être décidés par l'épée, le furent par la plume. Ni l'Espagne ni le roi de Sardaigne n'accédèrent d'abord à cette négociation, et il est à remarquer que ce ne fut qu'après la chute du sieur Chauvelin que l'Espagne y souscrivit.
La guerre s'était faite d'une manière beaucoup moins vive au Rhin qu'on ne la faisait en Italie. L'Empereur avait, pour ainsi dire, extorqué la déclaration de guerre faite par les états de l'Empire, en l'année 1733, à Ratisbonne; l'élection de Pologne, troublée par les troupes campées sur les confins de la Silésie et prêtes à entrer dans<5> ce royaume, avait causé une scission parmi les évêques et les palatins, dont le plus grand nombre embrassait les intérêts de Stanislas. Ces désordres n'intéressaient en aucune manière les provinces d'Allemagne. L'Empereur s'était assez témérairement obligé, par un traité secret avec la Russie et la Saxe, à placer l'électeur Auguste II5-a sur le trône électif de Pologne; les ministres impériaux, n'ayant peut-être pas prévu les suites de cette démarche, et, contre l'avis du prince Eugène, se fondant sur le caractère pacifique du cardinal ministre, avaient engagé trop légèrement leur maître dans une affaire de cette conséquence; l'Empereur s'était mêlé lui seul, avec la Russie, et sans la participation de l'Empire, dans les troubles de la Pologne; c'était à lui seul à s'en tirer.
La France, qui, d'un autre côté, avait travaillé avec toute la prudence possible, depuis la mort du duc régent, à rétablir ses affaires dérangées, y avait si bien réussi, que ses finances étaient dans le plus bel ordre du monde, ses magasins pourvus de toutes les choses nécessaires, et ses troupes dans l'état où elle les pouvait désirer. Avec ces avantages, sa situation se trouvait si heureuse, qu'elle se voyait en passe de profiter de tous les événements.
La mort d'Auguste Ier lui fournissait un prétexte spécieux pour se mêler des affaires de la Pologne, et pour exécuter ou bien pour ébaucher les vastes projets que la politique avait conçus et mûrement digérés. La France ne négligea rien : elle prépara les événements, elle se mit en état d'agir avec succès, elle lia ses alliances tant avec l'Espagne qu'avec la Sardaigne; par des pratiques sourdes elle disposa quelques princes d'Allemagne à une espèce de neutralité; elle endormit les puissances maritimes; après quoi elle publia le manifeste de sa conduite, et attaqua l'Empereur, qui était en quelque façon l'agresseur, vu les troubles qu'il avait fomentés en Pologne, et que ses armées étaient prêtes à soutenir, s'il ne s'était vu lui-même assailli.
<6>L'Empereur, qui se voyait sur le point d'être attaqué de tous côtés, remua toutes ses machines pour entraîner l'Empire à courir la même fortune : tous les plus habiles négociateurs furent employés de la part du ministère de Vienne pour inviter l'Empire à déclarer la guerre à la France. Les vues de l'Empereur étaient, premièrement, de tirer du secours de l'Empire; en second lieu, de diviser les forces de la France, qui, l'ayant déjà attaqué en Italie, n'aurait pas manqué de l'y accabler. Il est bon de remarquer en passant que si l'Empire ne s'était point mêlé de cette guerre, elle aurait été plus tôt terminée. L'Empereur aurait perdu en Italie ce que les alliés ont conquis; mais on n'aurait pu démembrer la Lorraine de l'Empire sans donner lieu à de nouvelles brouilleries, et sans exciter un nouvel embrasement.
La guerre se fit très-nonchalamment en Allemagne, d'un côté, parce que la politique de la cour de Versailles ne voulait point donner d'ombrage aux puissances maritimes, qui se seraient indubitablement déclarées en faveur de l'Empereur, si elles avaient vu ses affaires à l'extrémité; et, d'un autre côté, par une complication de raisons différentes, dont chaque campagne en fournissait de particulières, et qui mettaient l'Empereur hors d'état d'agir vigoureusement sur le Rhin.
En Italie, les Espagnols s'emparaient du royaume de Naples et de la Sicile, tandis que les Français avec les troupes piémontaises s'emparaient du Milanais et de presque toute la Lombardie; et comme c'était une clause du traité des trois couronnes alliées de partager les dépouilles de l'Empereur en Italie, ces puissances se donnaient tous les mouvements imaginables pour mettre en exécution leurs vastes desseins. Mais j'ose assurer que ce qui contribua le plus aux heureux succès des alliés, ce fut le mauvais état dans lequel se trouvaient toutes les provinces de l'Empereur. La raison de la chute des plus grands empires a toujours été la même : elle s'est toujours trouvée dans la faiblesse de la constitution des États. La décadence de l'empire romain<7> trouva son période marqué dans le temps qu'il n'y eut plus d'ordre parmi les troupes, que la discipline fut anéantie, et qu'on négligea les précautions que la prudence dicta pour la sûreté des États. La perte que l'Empereur vient de faire en Italie est fondée sur les mêmes principes : point d'armée pour fermer le passage à l'ennemi, point de magasins ni de troupes suffisantes pour garder les forteresses, point de généraux habiles pour défendre les places. Enfin l'Empereur, au bout de trois campagnes, perdit ce qu'il n'avait acquis que par huit années de guerres consécutives.
On s'imaginerait qu'après tant de défaites ce serait à l'Empereur à solliciter la paix; mais qu'on ne s'y trompe point, et qu'on apprenne à mieux connaître l'esprit pacifique et désintéressé du cardinal ministre. Que ceci soit dit à l'honneur de la France et en témoignage de sa modération : ces vainqueurs chargés de lauriers, et apparemment fatigués de leurs victoires, offrent la paix à l'Empereur, leur ennemi vaincu.
Il est à présumer que M. de Villars aura communiqué son système au cardinal, tel qu'on le trouve dans ses Mémoires, et que le cardinal, ayant adopté les idées de ce grand homme, aura pris pour principe d'établir une union parfaite et stable entre l'Empereur et la France, à l'imitation du triumvirat d'Auguste, d'Antoine et de Lépide. On sait que ce triumvirat s'était cimenté par des proscriptions. Aussi la France, par le premier article des préliminaires, se trouve-t-elle en possession du duché de Lorraine, démembré de l'Empire.
L'Empereur, pour faire la paix, dépouille son gendre de ses États héréditaires. Le sacrifice paraît assez grand pour exiger, par une espèce de réaction, une reconnaissance proportionnée; mais, pour continuer la comparaison, il est à présumer que la France, avec le temps, jouera le rôle d'Auguste. La simple considération de cet événement aurait peu d'utilité, si elle n'était accompagnée de quelques réflexions que le sujet même fournit. D'abord on voit, par rapport aux Français,<8> un système de politique bien lié, uniforme, et qui ne varie jamais. Lorsqu'ils firent la paix d'Utrecht, leur but était de recommencer la guerre, non tout de suite, à cause que leur réputation était perdue, que leurs finances étaient épuisées, et qu'ils n'avaient pas encore amené les événements au point de maturité qu'ils souhaitaient; mais ils n'en avaient pas moins dans l'esprit d'épier le moment où ils pourraient attaquer l'Empereur avec avantage.
Or, il régnait un préjugé dans le monde, qui portait un préjudice infini aux desseins de la France; ce préjugé désavantageux avait pour fondement une ancienne erreur qui, s'étant perpétuée, n'en acquérait que plus de poids : on se disait tout bas à l'oreille que la France aspirait à la monarchie universelle; en quoi cependant on lui faisait grand tort. Cette seule idée avait arrêté tous les magnifiques projets de Louis XIV, et n'avait pas peu contribué à rabaisser sa puissance; il fallait nécessairement déraciner un préjugé si pernicieux, et en effacer jusqu'à la mémoire.
La fortune qui préside au bonheur de la France, ou, pour parler selon le style des prêtres, l'ange gardien qui veille à son agrandissement, contribua à détruire une opinion si préjudiciable aux intérêts de la France.
Louis XIV, dont l'ambition avait si souvent fait trembler l'Europe, après avoir éprouvé sur la fin de son règne les révolutions de la fortune, termina sa glorieuse carrière. L'empire tomba en tutelle, et le gouvernement se ressentit de la faiblesse de son monarque et de tous les malheurs inséparablement attachés aux minorités. Le duc régent, prince éclairé, et qui, avec toutes les qualités qui font les charmes de la société et la fortune des particuliers, n'avait pas assez de cette fermeté absolument nécessaire à ceux auxquels le gouvernement des empires est confié, embrouilla les affaires intérieures du royaume par ces fameuses actions qui ruinèrent presque tous les particuliers, dont l'argent n'entra que dans les caisses du Roi et dans celles de quelques<9> commis de Law. Le duc de Bourbon devint régent du royaume après la mort du duc d'Orléans; mais ce ne fut qu'une régence passagère; le cardinal de Fleury lui fut substitué, et, prenant le timon des affaires, il ne répara pas seulement les finances et les pertes internes du royaume, il fit plus : par son habileté, par la souplesse de son esprit et par les apparences d'une modération extrême, il s'acquit la réputation de ministre juste et pacifique. Pour connaître les profondeurs et la sagesse de sa conduite, il est nécessaire de remarquer que rien n'attire plus la confiance des hommes qu'un caractère généreux et désintéressé : le cardinal soutint si bien ce caractère, que l'Europe, ou plutôt l'univers entier, se persuada qu'il était tel. Les voisins de la France dormaient en paix auprès d'un si bon voisin, et les ministres dont la politique était la plus renommée avaient mis au nombre de leurs principes invariables que, tant que le cardinal vivrait, vu son caractère et son grand âge, on pourrait être tranquille sur les entreprises de la France. C'était là le chef-d'œuvre du cardinal, et en quoi sa politique peut être préférée à celle des Richelieu et des Mazarin. Ce ministre habile, ayant conduit les choses au point où il les désirait, fit éclater tout à coup ses desseins. Le manifeste du Roi Très-Chrétien soutint encore les profondes impressions que le caractère juste du cardinal avait faites sur les esprits; il contenait en substance : « Que ce n'était point par des vues d'intérêt ou d'ambition que le Roi prenait les armes, que Sa Majesté se contentait de posséder un royaume florissant et de régner sur un peuple fidèle, et que ses intentions n'étaient point de reculer les bornes de sa domination. » Cependant les suites ont fait voir que l'amour de la paix uniquement a obligé Sa Majesté d'accepter la Lorraine, et de débarrasser l'Allemagne d'une province qui à la vérité lui avait appartenu depuis un temps immémorial, mais qui lui était à charge, vu sa situation peu convenable et isolée. D'ailleurs, pour établir la paix sur un fondement solide, il fallait nécessairement que la Lorraine fût cédée à la France, parce quelle<10> aurait pu fournir de fréquents sujets de brouilleries, et que, de plus, on devait indemniser la France des frais de la guerre; ce qui, bien considéré, met en évidence que le Roi a entièrement rempli les engagements positifs qu'il avait pris par son manifeste.
Lorsqu'on voudra donner la même attention à la conduite qu'a tenue l'Espagne, on verra que le traité de Vienne,10-1 ou bien le traité de succession, n'était point un ouvrage solide, et que le roi d'Espagne, en renonçant aux États de la succession situés en Italie, n'y renonçait qu'autant qu'il n'était pas en état de les recouvrer.
Je n'avance rien que je ne sois en état de prouver. Le traité de Séville,10-2 si fameux, entre l'Espagne et l'Angleterre, découvre assez les<11> intentions de l'Espagne, et suffit pour mettre en évidence que toutes les conquêtes d'Italie ne sont qu'une suite des principes invariables que cette couronne regarde comme la base de sa politique.
Qu'on ne s'imagine point que ce traité de Séville soit ici tiré par les cheveux; il ne faut que quelques considérations pour y faire entrevoir comme à travers une gaze les intentions de l'Espagne.
La politique d'envahir a établi pour principe que le premier pas pour la conquête d'un pays est d'y avoir pied, et c'est ce qu'il y a de plus difficile; le reste se décide par le sort des armes et par le droit du plus fort.
Sous quel prétexte l'Espagne aurait-elle pu introduire des troupes en Italie, si le traité de Séville ne lui avait donné cette facilité? Comment aurait-elle pu, sans troupes, penser à la conquête du Milanais, du Mantouan, du royaume de Naples, de la Sicile? Il fallait donc avoir un pied dans le pays; il fallait y avoir des troupes, pour les augmenter selon l'occurrence; il fallait avoir des places pour former des magasins; et c'était à quoi le traité de Séville était indispensablement nécessaire. L'Espagne avait donc bien pensé à ses intérêts en le faisant, et on a pu voir que ses desseins n'étaient pas si bornés qu'on<12> aurait cru peut-être; j'ai donc eu raison, en parlant de la conduite de l'Espagne, de ne point passer sous silence le traité de Séville.
Il me reste à présent à développer la conduite de la cour impériale. On aura dû remarquer en elle beaucoup de confiance en ses forces dans l'affaire de Pologne, quoique à la vérité elle ait voulu faire semblant de ne s'en point mêler.12-3 On aura pu remarquer de même cette hauteur insupportable avec laquelle elle affecta de traiter non seulement ses inférieurs, mais aussi ses égaux. On aura pu découvrir facilement que sa politique a pour but d'établir le despotisme et la souveraineté de la maison d'Autriche dans l'Empire; ce qui n'est pas si facile, vu la puissance de beaucoup d'électeurs, qu on ne saurait abaisser aisément. Cependant, imbue de préjugés superstitieux, et encouragée par une orgueilleuse témérité, la maison d'Autriche a toujours voulu accoutumer à son joug les souverains d'Allemagne; le ministère travaille sur ce plan, qui est transmis aux successeurs de l'Empire, et ces princes aussi ignorants que superstitieux se bercent vainement d'une chimère ambitieuse que l'injustice de la chose devrait leur faire détester.
Nous n'avons pas besoin de remonter jusqu'aux temps de l'empereur Ferdinand Ier et Ferdinand II pour trouver des témoignages de l'ambition démesurée de cette cour : quatre événements arrivés de nos jours nous en feront un beau commentaire.
On remarquera, premièrement, que l'Empereur, à l'insu de l'Empire, avait fait une alliance avec l'impératrice de Russie, pour mettre Auguste II sur le trône de Pologne. Il fallait donc que la guerre à laquelle cette alliance donna lieu fût vidée par l'Empereur, et non par l'Empire, qui ne participait en rien aux démarches de l'Empereur.<13> Cependant on a vu que, par ces intrigues, la cour de Vienne a trouvé moyen de mêler l'Empire dans la guerre, qui n'impliquait directement que l'empereur de Russie; en quoi l'Empereur a donné manifestement atteinte à l'article IV13-4 de sa capitulation.
L'Empereur a péché, secondement, contre l'article VI13-5 de sa capitulation, en ce que, contre les lois fondamentales de l'Empire, il a appelé le secours des puissances étrangères en Allemagne, l'impératrice de Russie lui ayant envoyé un corps de dix mille hommes au Rhin.
On verra, en troisième lieu, que le traité entamé avec la France, et dont les préliminaires ont été signés sans la confirmation de l'Empire, porte une atteinte et un préjudice à l'article VI13-6 de la capitulation impériale.
L'Empereur a fait, en quatrième lieu, une infraction contre l'article X13-7 de sa capitulation, en ce qu'il a aliéné le duché de Lorraine,<14> qui, étant un fief de l'Empire, ne saurait, selon les constitutions fondamentales de l'Empire, être séparé ou retranché du corps germanique sans le consentement formel de la diète et des états.
On pourrait encore reprocher à l'Empereur la guerre qu'il a déclarée aux Turcs, et les subsides qu'il a exigés de l'Empire au sujet de cette guerre; mais cela m'engagerait dans de trop grands détails, et j'ai encore quelques réflexions plus importantes à faire.
Nous avons jugé à présent des causes par leurs événements; il nous reste encore à juger des événements que nous avons à attendre par les causes que nous pouvons pénétrer.
Il ne s'agit pas simplement d'approfondir les secrets de la politique et de porter un regard profane jusque dans le sanctuaire des ministres; il faut encore observer les voies différentes que suivent les ministres pour parvenir à leurs fins. Rien ne fait mieux connaître le caractère des cours que de remarquer les façons différentes dont leur politique agit sur les mêmes sujets; leurs passions, leurs finesses, leurs ruses, leurs vices et leurs bonnes qualités, tout s'y découvre.
Pour bien juger des ministres de l'Empereur et de ceux de France, mettons leur conduite en parallèle, et voyons comment, dans les affaires de la Pologne, ils ont tenu des routes différentes; nous y verrons une expression de mœurs qui n'est pas de peu d'utilité pour les grands hommes qui savent en faire usage.
L'Empereur, selon l'alliance qu'il avait faite avec la Russie, devait placer la couronne de Pologne sur la tète d'Auguste, électeur de Saxe : il n'imagina point de meilleur moyen d'y réussir que les voies de fait. Ses armées se tinrent aux confins de la Pologne, tandis que les troupes<15> russiennes firent une invasion sur les terres de la République, et s'approchèrent à peu de distance de Varsosie. Ainsi à Vienne on ne connaissait que la violence qui pût ouvrir à Auguste les barrières du trône des Sarmates.
Le ministère français, plus humain, mais plus rusé, pensa d'une manière différente : il n'employa que la force d'un métal séducteur pour élever Stanislas à la dignité suprême. Le ministre de l'Empereur à Varsovie éclatait en menaces, celui de France n'employait que les paroles flatteuses et les caresses; l'un voulait intimider les esprits, l'autre voulait les gagner par sa douceur. L'un, comme un lion furieux, tombait sur sa proie; l'autre, comme une sirène, charmait par sa voix tous ceux qui l'approchaient. Enfin les Français, par leurs artifices et leurs intrigues, se rendirent maîtres des cœurs, tandis que les Impériaux effrayèrent les poltrons. Mais comme en Pologne le nombre de ceux qui craignent excède infiniment le nombre de ceux qui sont au-dessus de la crainte, il n'est pas étonnant que Stanislas ne se soit point soutenu sur le trône.
Toutefois ne nous méfions pas tant de ceux qui n'exécutent leurs projets que par les moyens que leur hauteur et qu'un esprit altier leur dicte : ils se desservent eux-mêmes, en ce qu'ils se rendent odieux; leur violence est un antidote qui guérit du venin que leurs desseins ambitieux pourraient communiquer. Mais défions-nous plutôt de ceux qui, par de sourdes pratiques, par des manières flatteuses, par une douceur simulée, veulent nous entraîner dans l'esclavage : ils nous jettent un hameçon dont le fer est caché sous une amorce séduisante, mais qui nous trompe, en nous privant de la liberté, lorsque notre prudence s'y laisse surprendre.
Comme il est certain que tout doit avoir une raison de son existence, et qu'on trouve la cause des événements dans d'autres événements qui leur sont antérieurs, il faut aussi que tout fait politique soit la suite d'un fait politique qui l'a précédé, et qui a, pour ainsi<16> dire, préparé sa naissance. Appliquons-nous selon ce système à découvrir dans les événements récents, et dans les vastes projets des cours de Vienne et de Versailles, ce que l'union étroite des deux plus puissants princes de l'Europe semble nous préparer.
Il est évident que les vues de la cour impériale tendent à rendre l'Empire héréditaire dans la maison d'Autriche. C'est à cette fin qu'elle a fait la pragmatique sanction, qu'elle a sollicité tous les princes d'Allemagne, qu'elle a inséré un article dans la pacification, et qu'elle a fait une infinité de traités particuliers; tant il est vrai que la maison d'Autriche souhaiterait d'ôter avec le temps à l'Empire le droit d'élection, de cimenter la puissance arbitraire dans sa race, et de changer en monarchique le gouvernement démocratique qui de temps immémorial a été celui de l'Allemagne. Comme le système du ministère impérial est assez simple, il n'est point difficile de l'exposer au jour; mais celui de la cour de Versailles est plus composé, et il exigera de nous plus d'étendue et plus de détail.
Le principe permanent des princes est de s'agrandir autant que leur pouvoir le leur permet; et quoique cet agrandissement soit sujet à des modifications différentes et variées à l'infini, ou selon la situation des États, ou selon la force des voisins, ou selon que les conjonctures sont heureuses, le principe n'en est pas moins invariable, et les princes ne s'en départent jamais; il y va de leur prétendue gloire; en un mot, il faut qu'ils s'agrandissent.
La France est bornée à l'occident par les monts Pyrénées, qui la séparent de l'Espagne, et qui forment une espèce de barrière que la nature même a posée. L'Océan sert de bornes au côté septentrional de la France, la mer Méditerranée et les Alpes au midi; mais du côté de l'orient elle n'a d'autres limites que celles de sa modération et de sa justice. L'Alsace et la Lorraine, démembrées de l'Empire, ont reculé les bornes de la domination de la France jusqu'au Rhin. Il serait à souhaiter que le Rhin pût continuer à faire la lisière de leur monarchie.<17> Pour cet effet, il se trouve un petit duché de Luxembourg à envahir, un petit électorat de Trèves à acquérir par quelque traité, un duché de Liége par droit de bienséance; les places de la Barrière, la Flandre et quelques bagatelles semblables devraient être nécessairement comprises dans cette réunion; et il ne faudra à la France que le ministère de quelque homme modéré et doux qui, prêtant, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi, son caractère à la politique de sa cour, et qui, rejetant toutes les ruses et tous les détours de ses artifices sur le compte des ministres subalternes, conduise, à l'abri de dehors respectables, ses desseins à une heureuse issue.
La France ne se précipite en rien. Constamment attachée à son plan, elle attend tout des conjonctures : il faut, pour ainsi dire, que les conquêtes viennent s'offrir à elle naturellement; elle cache tout ce qu'il y a d'étudié dans ses desseins, et il semble, à n'en juger que par les apparences, que la fortune la favorise avec un soin tout particulier. Ne nous y trompons point : la fortune, le hasard, sont des mots qui ne signifient rien de réel. La véritable fortune de la France, c'est la pénétration, la prévoyance de ses ministres, et les bonnes mesures qu'ils prennent. Voyez avec quel soin le cardinal se charge de la médiation entre l'Empereur et le Turc. L'Empereur, en reconnaissance de ce service, ne peut faire moins que de céder à Louis XV ses droits sur le Luxembourg. Ce duché, selon toutes les apparences, doit être une des premières acquisitions qui suivront la Lorraine : car, comme la France a eu des égards en toute chose pour les arrangements que l'Empereur a cru devoir prendre, il semble que la justice exige de semblables égards du côté de l'Empereur pour les arrangements de la France : ce n'est qu'un flux et reflux de reconnaissance, que la politique de ces princes sait rendre utile à leur grandeur.
Quant aux autres pays que la France pourrait conquérir, il est de sa prudence de ne point trop se hâter, afin de s'affermir dans ses<18> anciennes conquêtes et de ne point effaroucher ses voisins : un trop grand fracas de succès pourrait réveiller les puissances maritimes, qui dorment à présent dans les bras de la sécurité et au sein de l'indolence.
J'entrevois encore, dans ce qui peut entrer dans le système de la France, des projets plus grands et plus vastes que ceux dont j'ai parlé; et le moment que la Providence a marqué pour l'exécution de ces grands desseins semble être celui du décès de Sa Majesté Impériale. Quel temps plus propre pour donner des lois à l'Europe? Quelles conjonctures plus heureuses pour pouvoir tout oser?
Tous les électeurs se trouvent à présent désunis par les intérêts qui les partagent : les uns, cherchant des avantages particuliers, se jetteront dans les bras de la France, et sacrifieront l'intérêt commun; d'autres disputeront entre eux à qui aura l'Empire; d'autres se déchireront pour la succession de l'Empereur; d'autres, enflés par les espérances que leur donnent de grandes alliances, porteront partout le flambeau de la guerre, le trouble et la confusion; et ceux qui pourraient s'opposer à la force majeure de l'ennemi commun n'entreprendront rien, et abandonneront leur destinée au hasard.
De plus, par le dernier traité de pacification, la France s'engage à la garantie de la pragmatique sanction; cela l'oblige à se mêler indispensablement des affaires d'Allemagne après la mort de l'Empereur; et ce qui en cette occasion rendra les démarches de la France beaucoup plus dangereuses que dans d'autres, c'est qu'elles auront une apparence plausible de justice, et que leurs violences même auront un dehors d'équité.
Remarquons encore avec quel soin la France écarte les puissances maritimes de cette garantie. Croit-on que ce soit sans dessein qu'on les éloigne des affaires? Pourrait-on s'imaginer que quelque pensée<19> frivole d'orgueil y aurait donné lieu? et serait-il possible de se figurer qu'un ministre qui a donné jusque dans ses moindres démarches des marques d'une prudence consommée, qu'un pareil ministre, dis-je, ait des vues si peu étendues? Rendons justice à la politique française : elle n'est jamais si bornée qu'on pourrait le croire.
Il serait possible qu'on fût bien aise de procurer du repos aux ministres anglais, qui sont assez occupés par les brouilleries intestines du royaume; et, avec cela, on est bien aise de ne point mêler les puissances maritimes dans les traités secrets des deux cours contractantes, afin que, les cas de la succession venant à exister, ces puissances n'aient aucun prétexte quelconque de se mêler des troubles de l'Allemagne.
On pousse les précautions plus loin encore. On paye des subsides aux cours de Suède et de Danemark, ou pour les contenir simplement, ou pour qu'elles soient en état de s'opposer à ceux qui voudront prendre des mesures contraires aux intentions et aux arrangements de la cour de France.
Autant la politique de la cour de France est excellente, autant faut-il avouer aussi qu'elle est favorisée par un concours de certaines circonstances. Tous les princes dont la grandeur et la puissance pouvaient lui donner de l'ombrage se trouvent désunis. Il ne reste à la France qu'à ne point laisser éteindre le feu de la discorde, et à l'attiser plutôt. Et en quoi la France a un avantage infiniment plus grand encore, c'est qu'elle n'a presque personne en tête dont la profondeur d'esprit, la hardiesse et l'habileté puissent lui être dangereuses; à cet égard elle acquiert moins de gloire que n'en acquirent les Henri IV et les Louis XIV.
Que dirait Richelieu, que dirait Mazarin, s'ils ressuscitaient de nos jours? Ils seraient fort étonnés de ne plus trouver de Philippe III et IV en Espagne, plus de Cromwell et de roi Guillaume en Angle<20>terre, plus de prince d'Orange en Hollande, plus d'empereur Ferdinand en Allemagne et presque plus de vrais Allemands dans le saint-empire, plus d'Innocent XI à Rome, plus de Tilly, plus de Montécuculi, de Marlborough, d'Eugène à la tête des armées ennemies; de voir enfin un abâtardissement si général parmi tous ceux à qui est confiée la destinée des hommes dans la paix et à la guerre, qu'ils ne s'étonneraient point qu'on pût vaincre et tromper les successeurs de ces grands hommes. Autrefois les Français étaient obligés de combattre contre toute l'Europe liguée et conjurée contre eux, et c'était à leur valeur seule qu'ils devaient leurs conquêtes; à présent ils doivent leurs plus beaux succès à leurs négociations, et c'est moins à leur force qu'à la faiblesse de leurs ennemis qu'on peut attribuer le cours triomphant de leurs prospérités. Il n'y a pas de meilleur moyen de se faire une idée juste et exacte des choses qui arrivent dans le monde, que d'en juger par comparaison, de choisir dans l'histoire des exemples, d'en faire le parallèle avec les faits qui arrivent de nos jours, et d'en remarquer les rapports et les ressemblances. Rien de plus digne de la raison humaine, de plus instructif et de plus capable d'augmenter nos lumières.
L'esprit des hommes est le même dans tous les pays et dans tous les siècles : ils ont à peu près les mêmes passions; leurs inclinations ne diffèrent presque en rien; ils sont quelquefois plus furieux, quelquefois moins, selon qu'un malheureux démon d'ambition et d'injustice leur communique son souffle infecté et contagieux. Certaines époques se sont distinguées, parce que les passions des hommes y ont été plus agitées, et souvent récompensées. Telle est celle des conquêtes de Cyrus parmi les Perses, la bataille de Salamine et de Platée parmi les Grecs, le règne de Philippe et d'Alexandre le Grand chez les Macédoniens, les guerres civiles de Sylla, les triumvirats, le règne d'Auguste et des premiers Césars chez les Romains. En un mot, l'amour<21> des arts et la fureur de la guerre ont parcouru tout le monde, et ont toujours produit les mêmes effets dans tous les endroits où ils ont établi leur domicile. La raison en est simple. L'esprit de l'homme, et les passions qui le gouvernent, sont toujours les mêmes; il faut donc nécessairement qu'il en résulte toujours les mêmes effets. Tout ce que je viens de dire des arts et de la guerre se trouve encore plus vrai à l'égard de la politique des grandes monarchies : elle a toujours été la même; leur principe fondamental a constamment été d'envahir tout pour s'agrandir sans cesse, et leur sagesse a consisté à prévenir les artifices de leurs ennemis et à jouer au plus fin.
Examinons à présent les procédés de Philippe de Macédoine envers les Grecs, et voyons si nous n'y trouverons pas quelques traits de la politique française; parcourons ensuite quelques événements de l'histoire romaine, et le lecteur verra s'il ne s'y trouve point, je ne dis pas une ressemblance, mais une conformité entière avec les événements qui sont arrivés récemment en Europe, et avec ceux dont nous avons fait entrevoir l'aurore. La république des Grecs ne se soutenait que par l'étroite union qui liait les différentes petites républiques ensemble; les villes de Sparte et d'Athènes se distinguaient cependant de toutes les autres; c'étaient elles qui donnaient le branle aux délibérations et aux grandes choses qui s'exécutaient, et les petites républiques n'étaient que dépendantes de celles-là. Si Philippe avait attaqué cette ligue entière, il aurait trouvé des ennemis redoutables, qui non seulement lui auraient résisté, mais qui même auraient pu faire de ses propres États le théâtre de la guerre. Que fit la politique de ce prince pour vaincre cette république? Elle sema la dissension et la jalousie parmi ces petites villes alliées, elle cimenta leur désunion, elle corrompit les orateurs, elle prit le parti des plus faibles pour les soutenir contre les plus puissants, et, ceux-ci abattus, les autres furent bientôt à sa discrétion.
<22>Que fait la politique de la France pour parvenir à la monarchie universelle? Ne voyez-vous pas avec quelle finesse elle sème la division parmi les princes de l'Empire, son adresse à gagner l'amitié des souverains dont elle a le plus de besoin, comme elle sait artifieusement soutenir les intérêts des petits princes contre les plus puissants? Admirez le tour qu'elle a pris pour saper le pouvoir des puissances maritimes, son habileté à les intimider à propos, sa souplesse à les amuser de bagatelles tandis qu'elle frappe les grands coups. Qu'on voie en même temps la plupart des princes de l'Europe aussi insensés que les Grecs, qui, plongés dans une sécurité léthargique, négligèrent de se réunir avec leurs voisins pour prévenir un malheur certain et leur ruine infaillible.
Jetez encore un moment les yeux sur l'artifice des Français, qui amusent les puissances du Nord par des subsides, afin de laisser ceux qu'ils n'ont point gagnés comme abandonnés à leurs propres ressources, et jugez si ce ne sont pas les suites d'une politique semblable à celle de Philippe de Macédoine. Qu'on me permette de pousser cette comparaison plus loin. On verra que l'histoire de Philippe fournit plus d'un événement conforme à ceux de nos jours et digne de la politique de Versailles.
Ce roi de Macédoine avait déjà gagné les Thébains, les Olynthiens et les Messéniens; il réduisit ensuite les Athéniens, affaiblis et peu en état de lui résister, à lui céder les villes d'Amphipolis et de Potidée, qui lui servirent de barrières. Ayant aussi la Phocide et les Thermopyles, il tenait comme la clef de la Grèce, et il lui était facile de l'attaquer toutes les fois qu'il le jugeait convenable à ses intérêts.
L'histoire de France nous fournit un exemple qu'il n'est pas possible de lire sans se souvenir du trait de l'histoire ancienne que je viens de citer. On comprend bien que c'est de l'acquisition de l'Alsace<23> et de Strasbourg que je veux parler. Ces États aliénés de l'Allemagne en étaient autrefois comme les Thermopyles, ou comme le boulevard, et la Lorraine, qui vient d'être envahie récemment, répond à la Phocide par rapport à sa situation. Une manière d'envahir si ressemblante à celle du roi Philippe découvre, ce me semble, assez clairement une conformité de dessein parfaite. Philippe ne s'en tint pas aux Thermopyles, il passa outre. Je me rappelle, à cette occasion, ce qu'un sage disait à un roi d'Épire, en voyant les préparatifs immenses qu'on faisait pour la guerre. « Pourquoi, demandait-il à ce prince, amassez-vous toutes ces armes et ce bagage? - Pour conquérir l'Italie, répondit Pyrrhus. - Mais l'Italie conquise, seigneur, où allons-nous? - Alors, cher Cinéas, nous nous rendons maîtres de la Sicile; de là, il ne faut qu'un bon vent, et Carthage tombe entre nos mains; nous traverserons ensuite les déserts de la Libye; l'Arabie et l'Égypte ne pourront nous résister; la Perse et la Grèce seront également assujetties. »23-a Ce prince n'avait pas de moindre projet que d'établir sa domination sur tout l'univers; son langage était celui de l'ambition, et l'ambition pense et agit toujours de même : je n'en dis pas davantage.
Quant aux Grecs, ils n'envisageaient que d'une manière superficielle les progrès de Philippe, et ils s'imaginaient follement que la mort de ce prince les débarrasserait d'un ennemi dangereux duquel ils avaient tout à craindre. C'est précisément le langage qu'on tient à présent en Europe : on se flatte que la mort de l'habile politique français mettra fin à la politique française, qu'un autre ministre lui succédant, il n'aura pas les mêmes vues, les mêmes desseins. Enfin on s'amuse de petites espérances, qui sont ordinairement les consolations des âmes faibles et des petits génies. Qu'on me permette de rappeler ici le reproche que Démosthène faisait à ses Athéniens dans sa<24> première Philippique. Voici ses paroles : « Philippe est mort, dira l'un. Non, répondra l'autre, mais il est malade .... Eh! qu'il meure ou qu'il vive, que vous importe? Quand vous ne l'aurez plus, bientôt, Athéniens, vous vous serez fait un autre Philippe, si vous ne changez pas de conduite; car il est devenu ce qu'il est, non pas tant par ses propres forces que par votre négligence. »
Il me reste encore quelques réflexions à faire sur les points où la conduite des Romains répond parfaitement à celle de nos Romains modernes, je veux dire les Français. Que l'on considère l'attention extrême que les Romains avaient à se mêler de toutes les affaires du monde; ils affectaient même de décider toutes les querelles des princes. Rome était le tribunal de l'univers, et les rois et les princes avaient reconnu, je ne sais comment, la souveraineté de ce tribunal; ils remettaient le jugement de leur cause au peuple romain, de tous les peuples le plus puissant et le plus fier. Le sénat, accoutumé à juger en dernier ressort de la fortune des princes, s'érigeait en arbitre souverain de tous leurs différends. C'est par ce moyen qu'ils se rendirent les maîtres de la Grèce, qu'ils acquirent l'héritage d'Eumène, roi de Pergame, et ce fut encore par cette voie que l'Égypte fut réduite au nombre des provinces romaines.
On va voir que la France en a fait tout autant. Mais ce que les Romains n'ont jamais fait, Louis XIV l'a osé : il a érigé un tribunal de réunion qui, sous prétexte de la recherche d'anciennes dépendances, réduisait des provinces entières sous le joug de son obéissance.
Il est temps à présent de parler de la succession de Charles II, dernier roi d'Espagne, et du testament substitué ou tronqué par lequel le sang français a empiété sur les droits de celui d'Espagne; des intrigues par lesquelles la France a voulu relever le parti du prétendant en Angleterre, et faire ce prince roi de la Grande-Bretagne; et, pour<25> alléguer des exemples plus récents, qu'on fasse attention à l'envoi de Don Carlos en Italie, aux menées de la France dans les troubles de la Pologne. Je pourrais citer encore le droit d'arbitrage que la France s'arroge dans les contestations de Juliers et de Berg entre le roi de Prusse et le palatin de Sulzbach : cette affaire ne devrait proprement toucher que l'Empire, si, par la paix de Westphalie, le Roi Très-Chrétien n'avait trouvé moyen de s'en mêler. On pourra voir ci-dessous tout ce qui en est dit dans ce traité.25-8 Il n'y a pas jusqu'aux démêlés de la ville de Genève dont la France ne se soit mêlée; soit par corruption, ou par d'autres voies, les Genevois se sont jetés entre ses bras. La guerre que l'Empereur fait en Hongrie ne se terminera pas non plus sans qu'il y soit parlé de la France; et les Corses apprendront dans peu, de ces mêmes Français, quel doit être leur sort. Enfin, a-t-on des différends, la France les décide. Veut-on faire la guerre, la France est de la partie. S'agit-il de régler les articles de la paix, la France donne la loi et s'érige en arbitre souverain de l'univers.
Voilà les faits que j'ai cru pouvoir mettre en parallèle avec ceux que j'ai choisis dans l'histoire romaine; je les rapporte impartialement, et sans qu'aucune autre raison me détermine que l'amour de la vérité.
Je n'ajouterai à tout ceci qu'une seule remarque; elle roulera sur une conformité de génie entre les négociateurs des Romains et les Français. Lorsque la France est parvenue à son but, et qu'elle n'a plus besoin de certains ménagements, on remarquera dans ses négociateurs une fierté et une arrogance extrême; souples lorsqu'ils recherchent l'assistance des princes, et d'une hauteur insupportable lorsque l'intérêt ne requiert plus les secours de ces mêmes princes. Il est néces<26>saire de se rappeler l'ambassade que les Romains envoyèrent à Antiochus, roi de Syrie, pour le détourner d'attaquer Ptolémée et Cléopâtre, qui, en qualité de rois d'Égypte, étaient alliés du peuple romain. Popilius, simple citoyen romain, fut chargé de cette commission; il demanda à Antiochus en termes assez fiers une réponse catégorique sur ce qu'il lui avait proposé. Ce roi, se trouvant à la tête d'une armée, et prêt à fondre sur l'Égypte, étonné d'une pareille proposition, balança de répondre; Popilius, avec une baguette qu'il tenait entre ses mains, trace un cercle autour du Roi, et lui ordonne de répondre avant d'en sortir. Qu'on remarque la hauteur et la manière absolue dont l'ambassadeur de France s'y est pris dans les affaires de Genève. Qu'on jette les yeux sur le mémoire26-9 que M. de Fénelon a présenté aux états généraux à la Haye, touchant la succession de Juliers; qu'on se rappelle les disputes puériles26-10 entre cet ambassadeur et celui d'Angleterre sur une préséance aussi singulière que nouvelle, et on pourra découvrir, à tant de traits ressemblants, des desseins aussi ambitieux chez ces modernes que chez les anciens, des vues aussi étendues chez les uns que chez les autres, enfin un rapport exact entre la conduite de la France et celle de Philippe, roi de Macédoine, ainsi qu'entre la France et la république romaine.
Il est facile de remarquer, par ce qu'on vient de voir, que le corps politique de l'Europe est dans une situation violente : il est comme hors de son équilibre, et dans un état où il ne peut rester longtemps sans risquer beaucoup. Il en est comme du corps humain, qui ne subsiste que par le mélange de quantités égales d'acides et d'alcalis;<27> dès qu'une de ces deux matières prédomine, le corps s'en ressent, et la santé en est considérablement altérée. Et si cette matière augmente encore, elle peut causer la destruction totale de la machine. Ainsi, dès que la politique et la prudence des princes de l'Europe perd de vue le maintien d'une juste balance entre les puissances dominantes, la constitution de tout ce corps politique s'en ressent : la violence se trouve d'un côté, la faiblesse de l'autre; chez l'un, le désir de tout envahir, chez l'autre, l'impossibilité de l'empêcher; le plus puissant impose des lois, le plus faible est dans la nécessité d'y souscrire; enfin tout concourt à augmenter le désordre et la confusion; le plus fort, comme un torrent impétueux, se déborde, entraîne tout, et expose ce malheureux corps aux révolutions les plus funestes.
Ce sont là, en peu de mots, les considérations que m'a fournies l'état présent de l'Europe. Si quelque puissance trouve que je me suis expliqué avec trop de liberté, elle doit savoir que le fruit conserve toujours un goût de terroir, et que, né dans un pays libre, il m'est permis de m'énoncer avec une noble hardiesse et avec une sincérité incapable de feindre, que la plupart des hommes ne connaissent point, et qui paraîtra peut-être criminelle à ceux qui, nés dans la servitude, ont été élevés dans l'esclavage.
Après avoir repassé la conduite des politiques de l'Europe, après avoir développé le système des cours selon l'étendue de mes lumières, et fait voir les dangereuses suites de l'ambition de quelques princes, j'ose pousser la sonde plus avant dans la plaie de ce corps politique; je poursuivrai le mal jusque dans ses racines, et je m'efforcerai d'en découvrir les causes les plus cachées. Si mes réflexions ont le bonheur de parvenir aux oreilles de quelques princes, ils y trouveront des vérités qu'ils n'auraient jamais apprises par la bouche de leurs courtisans et de leurs flatteurs; peut-être seront-ils même étonnés de voir ces vérités se placer auprès d'eux sur le trône. Qu'ils apprennent<28> donc que leurs faux principes sont la source la plus empoisonnée des malheurs de l'Europe. Voici l'erreur de la plupart des princes. Ils croient que Dieu a créé exprès, et par une attention toute particulière pour leur grandeur, leur félicité et leur orgueil, cette multitude d'hommes dont le salut leur est commis, et que leurs sujets ne sont destinés qu'à être les instruments et les ministres de leurs passions déréglées. Dès que le principe dont on part est faux, les conséquences ne peuvent être que vicieuses à l'infini; et de là cet amour déréglé pour la fausse gloire, de là ce désir ardent de tout envahir, de là la dureté des impôts dont le peuple est chargé, de là la paresse des princes, leur orgueil, leur injustice, leur inhumanité, leur tyrannie, et tous ces vices qui dégradent la nature humaine. Si les princes se défaisaient de ces idées erronées, et qu'ils voulussent remonter jusqu'au but de leur institution, ils verraient que ce rang dont ils sont si jaloux, que leur élévation n'est que l'ouvrage des peuples; que ces milliers d'hommes qui leur sont commis ne se sont point faits esclaves d'un seul homme afin de le rendre plus formidable et plus puissant; qu'ils ne se sont point soumis à un citoyen pour être les martyrs de ses caprices et les jouets de ses fantaisies : mais qu'ils ont choisi celui d'entre eux qu'ils ont cru le plus juste pour les gouverner, le meilleur pour leur servir de père, le plus humain pour compatir à leurs infortunes et les soulager, le plus vaillant pour les défendre contre leurs ennemis, le plus sage afin de ne les point engager mal à propos dans des guerres destructives et ruineuses, enfin l'homme le plus propre à représenter le corps de l'État, et en qui la souveraine puissance pût servir d'appui aux lois et à la justice, et non de moyen pour commettre impunément les crimes et pour exercer la tyrannie. Ce principe ainsi établi, les princes éviteraient constamment les deux écueils qui de tout temps ont causé la ruine des empires et bouleversé le monde, savoir, l'ambition démesurée et la lâche négligence<29> des affaires. Au lieu de projeter sans cesse des conquêtes, ces dieux de la terre ne travailleraient qu'à assurer le bonheur de leur peuple; ils emploieraient toute leur application à soulager les misérables et à rendre leur domination douce et salutaire; il faudrait que leurs bienfaits fissent désirer d'être né leur sujet; qu'il régnât une généreuse émulation entre eux à qui surpasserait les autres en bonté et en clémence; qu'ils sentissent que la vraie gloire des princes ne consiste point à opprimer leurs voisins, point à augmenter le nombre de leurs esclaves, mais à remplir les devoirs de leurs charges, et à répondre en tout à l'intention de ceux qui les ont revêtus de leur pouvoir et de qui ils tiennent la grandeur suprême.
Ces monarques devraient songer que l'ambition et la vaine gloire sont des vices qu'on punit grièvement chez les particuliers, et qu'on abhorre toujours dans un prince.
D'un autre côté, les princes, ayant sans cesse leur devoir devant les yeux, ne négligeraient point leurs affaires comme des occupations indignes de leur grandeur; ils ne commettraient point aveuglément le salut de leur peuple aux soins d'un ministre, qui peut être suborné, qui peut manquer de talents, et qui presque toujours est moins intéressé que le maître au bien public. Les princes veilleraient eux-mêmes sur les démarches de leurs voisins; ils auraient une attention extrême à pénétrer leurs projets et à prévenir leurs entreprises; ils se précautionneraient par de bonnes alliances contre la politique de ces esprits remuants qui ne cessent d'envahir, et qui, semblables au cancer, rongent et consument tout ce qu'ils touchent. La prudence resserrerait les liens d'amitié et les alliances que formeraient de pareils princes; la sagesse serait leur conseil et ferait avorter les desseins de leurs ennemis; ils préféreraient un travail assidu, et qui aurait toujours pour but l'utilité publique, à la vie fainéante et voluptueuse des cours.
<30>En un mot, c'est un opprobre et une ignominie de perdre ses États; et c'est une injustice et une rapacité criminelle de conquérir ceux sur lesquels on n'a aucun droit légitime.
10-1 Corps diplomatique, par Du Mont. A Amsterdam, 1731, in-folio, t. VIII, 2e partie, p. 107 :
ART. V. En vertu de la renonciation faite par Sa Majesté Impériale dans les deux précédents articles, le Roi Catholique cède à son tour, et en son nom, et en celui de ses héritiers, descendants mâles et femelles, tous les droits sans exception quelconque, en général et en particulier, sur les royaumes, provinces et domaines lesquels Sa Majesté Impériale a possédés effectivement en Italie ou en Flandre, et qui ont autrefois appartenu à la monarchie d'Espagne; entre lesquels est le marquisat de Final, cédé à la république de Gènes par Sa Majesté Impériale en 1713, et à présent dûment occupé; sur le sujet duquel actes solennels de renonciation ont été expédiés en la plus due forme, qu'on aura soin de publier, et en lieux congrus on en passera l'acte, qui sera remis à Sa Majesté Impériale et aux parties intéressées. Sa Majesté Catholique renonce pareillement au droit de réversion à la couronne d'Espagne qu'elle s'est réservé sur le royaume de Sicile, à toutes autres actions, prétentions, sous le prétexte desquelles pourrait être inquiétée Sa Majesté Impériale, ou ses héritiers, successeurs, directement ou indirectement, non seulement dans les susdits royaumes ou provinces, mais aussi dans tous les autres domaines qu'il possède actuellement en Flandre, en Italie, ou ailleurs.
10-2 Extrait du traité de Séville conclu entre Leurs Majestés Très-Chrétienne, Britannique et Catholique, le 9 novembre 1729. Voyez Corps diplomatique, par Du Mont, t. VIII, 2e partie, p. 108-160. Les deux articles secrets, datés « A Séville, le 21 novembre 1729, » se trouvent l. c., p. 160 et 161.
Ce traité, que les Anglais nomment la source de leurs larmes, consistant en douze articles, et deux articles secrets, 1o Confirme les traités précédents, et contient l'amnistie de part et d'autre. 20 Règle le contingent des secours réciproques en hommes, vaisseaux et argent. 3o Déroge au traité de Vienne conclu en 1723 entre l'Empereur et l'Espagne. 4o Conserve le commerce français et anglais, tant en Europe qu'aux Indes, sur l'ancien pied. 5o Promet la réparation des dommages faits de part et d'autre. 6o Ordonne la commission et la nomination des commissaires pour examiner les pertes et dommages qu'on a soufferts de part et d'autre. 70 Parle des commissaires de France pour de pareilles recherches. 8o Prescrit la durée de cette commission, savoir, trois ans. 9o NB. Comme le plus remarquable, il est en ces termes :
« On effectuera dès à présent l'introduction des garnisons dans les places de Livourne, Porto-Ferrajo, Parme, et Plaisance, au nombre de six mille hommes des troupes de Sa Majesté Catholique, et à sa solde, lesquels serviront pour la plus grande assurance et conservation de la succession immédiate desdits États en faveur du sérénissime infant Don Carlos, et pour être en état de résister à toute entreprise et opposition qui pourrait être suscitée au préjudice de ce qui a été réglé sur ladite succession. »
10o On donne la conduite que cesdites troupes doivent tenir dans ces places. 11o Fait promettre au roi d'Espagne de retirer ses troupes dès que tout sera en ordre et en tranquillité. 12o Contient la garantie desdits États à l'infant Don Carlos, tant reprochée aux Anglais. 13o Renvoie à un accord particulier qui doit être fait entre les parties contractantes, concernant la manutention desdites garnisons. 14o Invite les états généraux à accéder à ce traité.
Les deux articles secrets expliquent les avantages du commerce des Anglais dans les Indes occidentales, et surtout le fameux traité d'Assiento.
Signé :
W. Stanhope.Brancas.El Marques de la Paz.
B. Keene.Don Joseph Patinho.
12-3 Il est notoire que les ministres de l'Empereur ont agi de concert en tout avec ceux de la Russie : qu'il avait un corps de dix-sept mille hommes campé aux frontières de la Pologne; qu'il avait corrompu le prince Lubomirski, qu'on nomme le Prince botté, qui fut l'auteur de la scission de ceux qui passèrent de Varsovie dans un village nommé Praga; et que c'est à l'instigation de l'Empereur que les troupes russiennes sont entrées en Pologne.
13-4 ART. IV. (Kaiser Carls des Sechsten Wahl-Capitulation. Mit nöthigen Anmerkungen. Leipzig, bei Thomas Fritsch, 1725, in-4, p. 32). Nous devons et voulons, dans toutes les délibérations sur les affaires qui concernent l'Empire, surtout celles qui sont exprimées dans l'instrumentum pacis, que les électeurs et princes jouissent du droit de suffrage, et que rien ne puisse être entrepris ni conclu sans leur libre consentement. Nous devons et voulons pendant notre règne vivre en paix avec les puissances chrétiennes qui sont nos voisins, ne point leur donner occasion d'avoir des contestations avec l'Empire. Nous éviterons d'impliquer l'Empire dans des guerres étrangères. Nous nous abstiendrons entièrement de tout secours dont il pourrait résulter du dommage à l'Empire, de toute dispute, guerre, soit dans, soit hors de l'Empire. sous quelque prétexte que ce soit, à moins que cela n'arrivé par te consentement des électeurs, princes et états, donné dans une diète, ou au gré des électeurs.
13-5 ART. VI. (l. c., p. 41). Nous devons et voulons, en qualité d'Empereur élu roi des Romains, pour ce qui regarde les affaires de l'Empire, avant d'en avoir obtenu le consentement des électeurs, princes ou états, dans une diète, comme l'intérêt de l'État demande quelquefois de la célérité et de la promptitude, nous devons et voulons obtenir ce consentement à un temps marqué, et cela dans une assemblée collégiale, et non par des déclarations particulières, jusqu'à ce qu'on puisse parvenir à une diète générale, comme cela se pratique dans les autres affaires qui concernent la sûreté de l'Empire. S'il arrivait que nous lissions quelque alliance à l'égard de nos terres particulières, cela n'arrivera qu'autant que cela ne portera aucun préjudice à l'Empire. ni ne sera opposé au contenu de l'instrumentum pacis.
13-6 Vovez, à la fin de la note précédente.
13-7 ART. X. (l. c., p. 59). De plus, nous ne devons et ne voulons ni donner, troquer, aliéner, ni molester par des impôts rien de ce qui appartient à l'Empire, sans la volonté et le consentement des électeurs, princes et états : mais nous devons et voulons nous abstenir de tout ce qui pourrait donner occasion à quelque exemption ou retranchement de quelques parties de l'Empire : nous voulons surtout nous abstenir de tous priviléges ou immunités exorbitantes, et nous appliquer au contraire avec beaucoup de soin à acquérir de nouveau et à conserver ensuite les principautés engagées ou aliénées, les terres confisquées ou tombées par voie illégitime en des mains étrangères.
23-a Plutarque, Vie de Pyrrhus.
25-8 Instrument de la paix d'Osnabrück, art. IV, §. 57 : Et comme l'affaire de la succession de Juliers entre les intéressés pourrait dans la suite du temps exciter de grands troubles dans l'Empire, si on ne les prévient point, on est convenu que, la paix faite, cette cause sera accommodée par les voies ordinaires devant Sa Majesté Impériale, ou par une composition amiable, ou par quelque autre voie légitime, sitôt que faire se pourra.
26-10 Cette dispute venait de ce que, à un festin que donnaient les états généraux, se trouvèrent MM. les ambassadeurs de France et d'Angleterre : l'Anglais porta la santé de l'Empereur ou celle de la prospérité des états généraux; M. de Fénelon dit que c'était à lui à porter cette santé; la chose alla fort loin. On appelle cette dispute la guerre du buffet. Celte histoire est généralement connue.
26-9 A la fin de ce traité.
5-a Frédéric-Auguste II. Voyez t. II. p. 5.