<103>Ces réflexions et de semblables m'ont conduit à rechercher les causes qui ont influé sur cette étrange dépravation du genre humain. Je ne sais s'il m'est permis de hasarder mes conjectures sur des matières aussi importantes; mais il me paraît qu'on s'est peut-être trompé dans le choix des motifs qui devaient porter les hommes à la vertu. Ces motifs, ce me semble, avaient le défaut de n'être point à la portée du vulgaire. Les stoïciens ne s'aperçurent pas que l'admiration est un sentiment forcé dont l'impression s'efface bien vite; l'amour-propre n'applaudit qu'avec répugnance. L'on convient sans peine de la beauté de la vertu, parce que cet aveu ne coûte rien; mais cet acte de complaisance plutôt que de conviction ne détermine point à se corriger soi-même, à vaincre ses mauvais penchants, à dompter ses passions. Les platoniciens auraient dû se rappeler l'espace immense qu'il y a entre l'Être des êtres et la créature fragile. Comment proposer à cette créature d'imiter son Créateur, dont par son état circonscrit et borné elle ne peut se former qu'une idée vague et indéterminée? Notre esprit est assujetti à l'empire des sens; notre raison n'agit que sur les choses où notre expérience nous éclaire. Lui proposer des matières abstraites, c'est l'égarer dans un labyrinthe dont elle ne trouvera jamais l'issue; mais lui présenter des objets palpables de la nature, c'est le moyen de la frapper et de la convaincre. Il est peu de grands génies capables de conserver le bon sens en se précipitant dans les ténèbres de la métaphysique. L'homme, en général, est né plus sensible que raisonnable. Les épicuriens, abusant du terme de volupté, énervèrent sans y penser la bonté de leurs principes, et fournirent, par cette équivoque même, des armes à leurs disciples pour dénaturer leur doctrine.
La religion chrétienne, en respectant ce qu'on y suppose de divin, et n'en parlant que philosophiquement, la religion chrétienne, dis-je, présentait à l'esprit des idées si abstraites, qu'il aurait fallu changer chaque catéchumène en métaphysicien pour les concevoir,