<106>heur qu'une parfaite tranquillité de l'âme. Cette tranquillité de l'âme se fonde sur le contentement de nous-mêmes, sur ce que notre conscience nous permet d'applaudir à nos actions, et sur ce que nous n'avons point de reproches à nous faire. Or, il est clair que ce sentiment peut exister dans une personne d'ailleurs malheureuse; mais jamais il n'existera dans un cœur barbare et atroce, qui ne peut que se détester lui-même, s'il se considère, quelles que soient les prospérités apparentes dont il paraît environné.
Nous ne combattons point l'expérience; nous avouons qu'il y a une multitude d'exemples de crimes impunis et de scélérats qui jouissent de ces grandeurs que les idiots admirent. Mais ces criminels ne craignent-ils pas que le temps ne dévoile enfin cette vérité si terrible pour eux, et ne découvre leur opprobre? Et ces monstres couronnés, un Néron, un Caligula, un Domitien, un Louis XI, les grandeurs vaines dont ils jouissaient les empêchaient-elles d'entendre la voix secrète de la conscience qui les condamnait, d'être dévorés de remords, et de sentir ce fouet vengeur qui, quoique invisible, les déchirait en les fustigeant? Quelle âme peut être tranquille dans une telle situation? N'éprouve-t-elle pas plutôt dans cette vie tout ce que les tourments des enfers peuvent avoir de plus affreux? D'ailleurs, c'est mal raisonner que de juger du bonheur des autres par les apparences. Ce bonheur ne peut être évalué que sur la façon de penser de celui qui l'éprouve; cette façon de penser varie si fort, que l'un aime la gloire, cet autre des objets de plaisir; celui-ci s'attache à des bagatelles, celui-là à des choses qu'on juge importantes; et même les uns dédaignent et méprisent ce que les autres désirent ou regardent comme le souverain bien.
Il n'y a donc point de règle certaine pour juger de ce qui dépend d'un goût arbitraire et souvent fantasque; d'où il arrive qu'on se récrie souvent sur le bonheur et la prospérité de ceux qui gémissent amèrement en secret du poids de leurs afflictions. Puis donc que ce