<123> citoyens exposent leurs jours pour le service de leur patrie. Mais si l'intérêt s'en mêle, ce noble métier dégénère en pur brigandage.
DEMANDE. Eh bien, si vous n'êtes point intéressé, au moins aurez-vous de l'ambition; vous voudrez vous pousser, et commander à vos semblables.
RÉPONSE. Je distingue beaucoup l'ambition de l'émulation. Souvent cette première passion donne dans des excès, et touche de près au vice; mais l'émulation est une vertu qu'il faut rechercher : elle nous porte, sans jalousie, à surpasser nos concurrents en nous acquittant mieux de nos devoirs qu'ils ne font; elle est l'âme des plus belles actions tant militaires que civiles; elle désire de briller, mais elle ne veut devoir son élévation qu'à la seule vertu jointe à la supériorité des talents.
DEMANDE. Mais si en rendant mauvais office à quelqu'un, c'était le moyen de parvenir à un poste éminent, ne trouveriez-vous pas cet expédient plus court?
RÉPONSE. Le poste pourrait tenter ma cupidité, j'en conviens; toutefois je ne consentirais jamais à devenir assassin pour y parvenir.
DEMANDE. Qu'appelez-vous devenir assassin?
RÉPONSE. Tuer un homme est pour le mort un moindre mal que de le diffamer; l'assassiner avec le poignard ou avec la langue, c'est la même chose.a
DEMANDE. VOUS ne calomnierez donc personne. Cependant, sans être assassin, il peut arriver que vous tuiez quelqu'un, non que je vous soupçonne de commettre un meurtre de sang-froid; mais si quelqu'un de vos égaux se déclare votre ennemi et vous persécute, si quelque brutal vous insulte et vous déshonore, la colère vous emportera, et la douceur de la vengeance vous incitera à commettre quelque action violente.
RÉPONSE. Cela ne se devrait pas, mais je suis homme; né avec des
a Voyez t. IV, p. 205.