<154> des suites de l'empire que ses sens ont sur lui; car il est plus sensible que raisonnable. Voilà donc la plupart des opinions humaines fondées sur des préjugés, des fables, des erreurs et des impostures. Qu'en puis-je conclure autre chose, si ce n'est que l'homme est fait pour l'erreur, que tout l'univers est soumis à son empire, et que nous ne voyons guère plus clair que les taupes? Il faut donc que l'auteur confesse, d'après l'expérience de tous les âges, que le monde étant inondé des préjugés de la superstition, comme nous l'avons vu, la vérité n'est pas faite pour l'homme.
Mais que deviendra son système? Je m'attends que notre philosophe m'arrêtera ici pour m'avertir de ne pas confondre des vérités spéculatives avec celles de l'expérience. J'ai l'honneur de lui répondre qu'en fait d'opinions et de superstitions il est question de vérités spéculatives; et c'est de quoi il s'est agi. Les vérités d'expérience sont celles qui influent sur la vie civile, et je me persuade qu'un grand philosophe comme notre auteur ne s'imaginera pas d'éclairer les hommes en leur apprenant qu'on se brûle dans le feu, qu'on se noie dans l'eau, qu'il faut prendre des aliments pour conserver la vie, que la société ne peut subsister sans la vertu, et autres choses aussi communes que connues. Mais allons plus loin.
L'auteur dit, au commencement de son ouvrage, que, la vérité étant utile à tous les hommes, il faut la leur dire hardiment et sans réserve; et dans le huitième chapitre, si je ne me trompe, car je cite de mémoire, il s'explique sur un ton différent, et il soutient que les mensonges officieux sont permis et utiles. Qu'il daigne donc se décider lui-même de la vérité ou du mensonge qui doit l'emporter, afin que nous sachions à quoi nous en tenir. Si j'ose hasarder mon sentiment après celui d'un aussi grand philosophe, je serais d'avis qu'un homme raisonnable ne doit abuser de rien, pas même de la vérité; je ne manquerai pas d'exemples pour appuyer cette opinion. Supposons qu'une femme timide et craintive se trouvât en danger de la vie : si on lui