<24> c'étaient les lois des conquérants qui devenaient celles des conquis; mais qu'également partout elles ont été augmentées successivement. Si l'on est étonné de voir au premier coup d'œil que les peuples puissent être gouvernés par tant de lois différentes, on peut revenir de sa surprise en observant que, pour l'essentiel des lois, elles se trouvent à peu près les mêmes; j'entends celles qui, pour le maintien de la société, punissent les crimes.
Nous observons encore, en examinant la conduite des plus sages législateurs, que les lois doivent être adaptées au genre du gouvernement et au génie de la nation qui les doit recevoir; que les meilleurs législateurs ont eu pour but la félicité publique; et qu'en général toutes les lois qui sont les plus conformes à l'équité naturelle, à quelques exceptions près, sont les meilleures.
Comme Lycurgue trouva un peuple ambitieux, il lui donna des lois plus propres à faire des guerriers que des citoyens; et s'il bannit l'or de sa république, c'était parce que l'intérêt est de tous les vices celui qui est le plus opposé à la gloire.
Solon disait de lui-même qu'il n'avait pas donné aux Athéniens les lois les plus parfaites, mais les meilleures qu'ils fussent capables de recevoir. Ce législateur considéra non seulement le génie de ce peuple, mais aussi la situation d'Athènes, qui était aux bords de la mer; par cette raison, il infligea des peines pour l'oisiveté, il encouragea l'industrie, et il ne défendit point l'or et l'argent, prévoyant que sa république ne pouvait devenir grande ni puissante que par un commerce florissant.
Il faut bien que les lois s'accordent avec les génies des nations, ou il ne faut point espérer qu'elles subsistent. Le peuple romain voulait la démocratie, tout ce qui pouvait altérer cette forme de gouvernement lui était odieux; de là vint qu'il y eut tant de séditions pour faire passer la loi agraire, le peuple se flattant que, par le partage des terres, il rétablirait une sorte d'égalité dans les fortunes des citoyens;