<33>Les juges ont deux piéges à craindre, ceux de la corruption, et ceux de l'erreur; leur conscience doit les garantir des premiers, et les législateurs, des seconds. Des lois claires, qui ne donnent pas lieu à des interprétations, y sont un premier remède, et la simplicité des plaidoyers, le second. On peut restreindre les discours des avocats à la narration du fait, fortifiée de quelques preuves, et terminée par un épilogue, ou courte récapitulation. Rien n'est plus fort dans la bouche d'un homme éloquent que l'art de manier les passions : l'avocat s'empare de l'esprit des juges, il les intéresse, il les émeut, il les entraîne, et le prestige du sentiment fait illusion sur le fond de la vérité. Lycurgue et Solon interdirent tous les deux cette sorte de persuasion aux avocats; et si nous en rencontrons dans les Philippiques et dans les Harangues sur la couronne qui nous restent de Démosthène et d'Eschine, il faut observer qu'elles ne se prononcèrent pas devant l'aréopage, mais devant le peuple; que les Philippiques sont du genre délibératif; et que celles sur la couronne sont plutôt du genre démonstratif que du judiciaire.
Les Romains n'étaient pas aussi scrupuleux que les Grecs sur les harangues de leurs orateurs : il n'est point de plaidoyer de Cicéron qui ne soit plein de passion. J'en suis fâché pour cet orateur, mais nous voyons, dans sa harangue pour Cluentius, qu'il avait auparavant plaidé pour sa partie adverse. La cause de Cluentius ne paraît pas absolument bonne; mais l'art de l'orateur l'emporta. Le chef-d'œuvre de Cicéron est sans doute la péroraison de la harangue pour Fontéius : elle le fit absoudre, quoiqu'il paraisse coupable. Quel abus de l'éloquence que de se servir de son enchantement pour énerver les lois les plus sages!
La Prusse a suivi cet usage de la Grèce; et si les raffinements dangereux de l'éloquence sont bannis des plaidoyers, elle en est redevable à la sagesse du grand chancelier, dont la probité, les lumières et l'ac-