<51> ne point voir dans les premières places des monstres de cruauté que le monde doit avoir en exécration. Il faut convenir que les grands ne font pas tout le bien dont ils sont capables, que les courtisans ont des passions, et les rois, des faiblesses; mais ils ne seraient pas hommes, s'ils étaient parfaits. Quelle démence y a-t-il donc à suivre les traces de Juvénal, lorsque l'on manque de sujets pareils aux siens, pour exercer le misérable talent de la satire! Y a-t-il rien de plus pitoyable que de faire métier de noircir les réputations, d'inventer des impostures grossières, de calomnier à tort et à travers, de crier, de publier des mensonges, pour contenter sa méchanceté? En entendant ces vaines clameurs, on est porté à croire que tout l'univers est en danger; et, à l'examiner, ce n'est au fond qu'un chien qui aboie à la lune.
Ces sortes de déclamateurs qui attaquent avec cette effronterie impudente les hommes en place sont, pour la plupart, des misérables inconnus dans leur obscurité; ils deviennent les organes mercenaires de quelque grand, envieux d'un compétiteur, ou ils se livrent à la turpitude de leur cœur, au funeste penchant de mordre comme des dogues enragés ceux que le hasard leur fait rencontrer dans leur chemin. A les lire, on croirait qu'ils ont des espions gagés dans les cours, qui leur rendent compte des moindres particularités qui s'y passent; mais leur imagination supplée en effet à leur ignorance, et ils connaissent aussi peu ceux que leur plume maltraite que la vertu qu'ils outragent si étrangement. Qu'y a-t-il de plus facile que de médire des grands? On n'a qu'à grossir leurs défauts, qu'à exagérer leur faible, qu'à commenter les médisances de leurs ennemis; et, au défaut de tant de belles ressources, on trouve un répertoire d'anciens libelles, que l'on copie, en les accommodant aux temps et aux personnes. Les déclamations contre les puissants de la terre sont devenues des lieux communs; chaque emploi a son étiquette banale et