<56> grands qui gouvernent la terre sont souvent découragés d'un ouvrage pénible qui n'a point de fin. Sans cesse obligés de vivre dans l'avenir par leurs réflexions, de tout prévoir, de tout prévenir, responsables des événements que le hasard, qui se joue de la prudence humaine, fait arriver pour rompre leurs mesures, accablés de travaux, les fatigues deviennent une espèce de soporifique qui à la longue assoupit les sentiments de la gloire, et les porte à désirer le repos philosophique d'une vie privée. Il est plus nécessaire de réveiller en eux ces sentiments de la gloire que de travailler à les étouffer; il faut encourager les hommes au lieu de les rebuter, et c'est ce que jamais libelles ne feront.
Peut-être quelqu'un pensera-t-il : il n'y a donc qu'à être puissant et absolu pour se livrer à toute la démence de ses caprices, pour ériger ses volontés en lois, et dès que l'on est inviolable, on peut tout enfreindre, d'autant plus que personne n'osera élever sa voix pour condamner des abus aussi intolérables de la domination. J'ose leur répondre que je conviens avec eux que ceux qui pendant leur vie sont au-dessus des lois par le souverain pouvoir, ont assurément besoin d'un frein qui les empêche d'abuser de la force pour opprimer les faibles ou pour commettre des injustices; mais que des scribes ignorants et obscurs ne sont pas faits pour être les précepteurs des rois; qu'il y a d'autres maîtres qui leur enseignent réellement leur devoir, qui prononcent leur arrêt, et leur apprennent sans déguisement ce que le peuple pense et doit penser d'eux; je veux dire l'histoire. Elle ne ménage point ces hommes redoutés qui ont fait trembler la terre; elle les juge, et, en approuvant leurs bonnes actions et en condamnant les mauvaises, elle instruit les princes de ce qui sera loué ou blâmé dans leur conduite; la sentence des morts apprend aux vivants à quoi ils doivent s'attendre, et sous quels auspices leurs noms passeront à la postérité; c'est à ce tribunal que tous les grands sont obligés