<65> l'idée des personnes selon que je les lui peins, et, de même que les rois, je reçois des subsides que la méchanceté des uns me paye pour révéler la turpitude des autres; cela fait que je taxe les seigneurs et les princes, ils sont mes esclaves, je vends leur nom plus ou moins cher, selon que je trouve des difficultés à ravaler leur mérite; je mets à contribution la haine et l'envie; je ne me borne pas aux particuliers, le trône n'a rien qui m'effraye; tel que vous me voyez, sans trésors et sans troupes, je déclare la guerre aux rois et les attaque, quelque puissants qu'ils soient. - En vérité, vous risquez beaucoup, lui dis-je : la guerre a ses hasards, et vous pourriez un jour essuyer de ces revers que les plus grands capitaines ont éprouvés, être battu à plate couture. - Trêve de plaisanterie, reprit-il; ces princes, ces monarques ne savent pas se servir de mes armes; à peine peuvent-ils signer leur nom; s'ils voulaient se battre à coups de plume, vous verriez beau jeu, leurs écrits seraient rebutés, et l'on ajoute foi aux miens. Ce qui me rend redoutable, c'est que je suis le précepteur du public; je dirige ce que je veux qu'il pense. - Mais, lui dis-je, les souverains n'auraient pas besoin de se servir de la plume ... - Tout beau, reprit-il, je crois que vous allez sur mes brisées. - Dieu m'en garde, lui dis-je, monsieur, si ce n'est peut-être que quelque vertu ne vous soit échappée, comme aux corps des saints, qui opère sur moi. Mais pour en revenir à notre sujet, apprenez-moi, de grâce, comment vous parvenez à décrier ceux sur lesquels la médisance n'a point de prise. - N'ai-je pas de l'imagination? repartit mon homme : est-il plus difficile de faire une satire qu'un roman? qu'en coûte-t-il de composer des anecdotes secrètes, de fabriquer des histoires qui aient de la vraisemblance? Car le degré de probabilité qu'on a l'art de donner aux contes qu'on publie est précisément ce qui les accrédite le plus; et après tout, est-il si difficile de donner des ridicules aux hommes?
Il était sur le point de me révéler tous ses secrets, lorsque je ne