<78> de beauté indélébile que mille Chapelainsa et mille Pradonsa ne lui feront pas perdre.
Après tous les sujets de plainte que nos ennemis nous donnent mes frères, voici un sujet de reconnaissance. Ils s'abaissent à nous appliquer les termes sublimes de leurs hautes sciences. Ils nous honorent de celui de formules, dont nous leur rendons grâce; c'est pour nous dire que nos formules sont insipides dans la prose. La poésie est le langage des dieux, et la prose celui des crocheteurs. Or, comme des langues aussi différentes doivent avoir des phrases qui le soient, je ne vois pas de quoi ils se scandalisent. Serait-ce que de certains mots comme naguère, trépas, coutelas, coursier, qui sont affectés à la poésie noble, ne se trouvent point dans leurs équations? La poésie a sans doute des phrases qui se rendent différemment en prose qu'en vers. Par exemple, Voltaire dit :
Oui, Mitrane, en secret l'ordre émané du trône
Remet entre tes bras Arzace à Babylone.b
Le prosateur dira : « L'ordre en secret émané du trône, Mitrane, remet entre tes bras Arzace à Babylone. » Si nous n'avons pas eu l'honneur de les comprendre, nous les supplions de vouloir nous éclaircir leurs idées sublimes, que nous serions, sans cela, tentés de trouver obscures. La poésie a ses règles, la prose a les siennes; ce sont les lois de Sparte et d'Athènes, dont chacunes étaient adaptées au génie de la nation pour laquelle elles étaient faites. Peut-être encore ces nouveaux législateurs ont-ils voulu nous apprendre que la prose a des règles différentes des nôtres, et en ce cas nous les remercions de la profondeur et de la nouveauté de la remarque dont ils daignent nous honorer. Cependant il me souvient d'en avoir ouï parler quelque part, et, si je ne me trompe, car je ne suis pas infaillible, c'est un larcin que,
a Mauvais poètes tournés en ridicule par Boileau.
b Sémiramis, tragédie de Voltaire, acte I, scène I.