<83> masculines; nous qui n'imposons pas des lois en despotes, nous sommes obligés de rendre raison de nos opinions. Voici les miennes. Dans la déclamation, l'e muet ne choque point l'oreille, parce que la langue française n'appuie pas sur la dernière syllabe. Il n'en est pas ainsi de la musique; la note jointe sur la dernière syllabe oblige d'appuyer, et cette espèce de tenue rend l'e muet, qui de soi-même est sourd, désagréable et choquant.
Nos géomètres nous ramènent pour la seconde fois leur vieillard sur la scène. Comme il paraît que c'est leur argument favori, examinons-le attentivement, et voyons si en effet il peut prouver contre la poésie. Pour prouver que la poésie n'est qu'un amusement frivole, il faudrait que dans tout l'univers, à un certain âge de raison, tout le monde se dégoûtât de la poésie, comme les enfants, des poupées, sans que des choses étrangères s'en mêlassent; mais qu'il y ait à Paris quelque vieillard qui radote, qu'il y en ait de misanthropes, hypocondres, malades, paralytiques, apoplectiques, que cela prouve-t-il, sinon qu'un vieillard malade et chagrin n'est plus susceptible des plaisirs dont il jouissait dans sa jeunesse? Qu'un Pascal, qu'un Malebranche n'aient pas aimé la poésie, et que ces deux grands hommes d'ailleurs en aient jugé comme des imbéciles, cela prouve qu'on parle de travers de ce qu'on ne connaît pas, et c'est une grande leçon pour le vulgaire et pour les philosophes mêmes de s'instruire avant de décider. Nous consentons donc de bon cœur que tous les vieillards qui ont les ressorts de l'âme usés ne lisent plus de vers, et qu'ils se fassent géomètres.
Il semble que notre législateur s'adoucisse quelquefois. Il fait grâce à Racine; et pourquoi ne traite-t-il pas de même les bonnes pièces de Corneille, et Boileau, ce vrai législateur du Parnasse, et Rousseau, l'Horace français? Il semble que La Fontaine l'emporte sur les autres; mais voici ce qui démasque encore les funestes intentions des géo-