I. LETTRE D'ANAPISTÉMON.
Je suis trop touché de la bonne réception que vous m'avez faite à votre campagne pour ne pas vous en témoigner ma reconnaissance. J'ai trouvé dans votre compagnie les plus grands biens que puissent posséder les hommes, la liberté et l'amitié. De crainte d'abuser de votre complaisance, je vous ai quitté, en regrettant de me séparer de vous. Le souvenir des jours heureux que j'ai passés dans votre terre ne s'effacera jamais de ma mémoire. Les biens qui nous arrivent sont passagers, et les maux ne sont que trop durables; mais la réminiscence du bonheur dont nous avons joui en perpétue la durée. Ma mémoire est encore tout occupée de ce que j'ai vu, surtout de ce que j'ai entendu, principalement de cette dernière conversation que nous eûmes ensemble le soir, après souper; mais je regrette que vous vous soyez borné à des idées générales, en parlant des devoirs des citoyens, et que vous ne soyez descendu en aucun détail. Vous me<244> feriez un plaisir sensible, si vous vouliez vous étendre davantage sur cette matière importante : elle intéresse tous les hommes, et mérite par conséquent d'être profondément discutée. Je vous confesse qu'une vie tranquille, plus tournée à la jouissance qu'à la méditation, m'avait détourné de réfléchir sur les liens de la société et sur les devoirs de ceux qui la composent. Je pensais qu'il suffisait d'être honnête homme et de respecter les lois, et je ne présumais pas qu'il en fallût davantage. La confiance que j'ai en vous est si grande, que je ne crois personne aussi capable que vous de m'éclairer sur cette matière. Il en est encore tant d'autres sur lesquelles vous pourriez m'instruire! Mais je me borne à celle-ci. Daignez donc me communiquer tout ce que vos études ou vos réflexions vous ont fourni de connaissances sur ce sujet. Tout le monde agit, peu de personnes pensent; loin d'être du nombre de ces inconsidérés, vous examinez attentivement les matières, vous pesez les raisons pour et contre, et vous n'acquiescez qu'aux vérités évidentes; vous ne vivez, pour ainsi dire, qu'avec les auteurs anciens et modernes, vous vous êtes approprié toutes leurs connaissances; ce qui rend votre conversation si agréable et si intéressante, que, lorsque l'absence empêche de vous entendre, on veut au moins vous lire pour s'en consoler. Si vous daignez contenter ma curiosité en me communiquant vos réflexions, ce sera ajouter les sentiments de la reconnaissance à ceux de l'estime et de l'amitié que j'ai pour vous. Vale.