« <107>qu'il n'y eût des raisons graves et indispensables qui obligeassent les électeurs d'élire un empereur d'une autre maison. »
Ce traité fut signé et ratifié : Rome cria, et Varsovie se tut; l'ordre Teutonique protesta contre cet acte, et osa revendiquer la Prusse. Le roi d'Angleterre, qui ne cherchait que des ennemis à la France, les achetait à tout prix; il avait besoin des secours de l'Électeur dans la grande alliance, et il fut des premiers à le reconnaître. Le roi Auguste, qui affermissait sa couronne sur sa tête, y souscrivit; le Danemark, qui ne craignait et n'enviait que la Suède, s'y prêta facilement; Charles XII, qui soutenait une guerre difficile, ne crut pas qu'il lui convînt de chicaner sur un titre pour augmenter le nombre de ses ennemis; et l'Empire fut entraîné par l'Empereur, comme on l'avait prévu.
Ainsi se termina cette grande affaire, qui avait trouvé de l'opposition dans le conseil de l'Électeur, dans les cours étrangères, chez les amis comme chez les ennemis; à laquelle il fallut une complication de circonstances aussi extraordinaires, pour qu'elle pût réussir; qu'on avait traitée de chimérique, et dont on prit bientôt une opinion différente. Le prince Eugène dit en l'apprenant : « Que l'Empereur devrait faire pendre les ministres qui lui avaient donné un conseil aussi perfide. » Le couronnement se fit l'année suivante : le Roi, que nous appellerons désormais Frédéric Ier, se rendit en Prusse; et, dans la cérémonie du sacre, on observa qu'il se mit lui-même la couronne sur la tête. Il créa en mémoire de cet événement l'ordre des chevaliers de l'Aigle noir.
Le public ne pouvait cependant pas revenir de la prévention dans laquelle il était contre cette royauté; le bon sens du vulgaire désirait une augmentation de puissance avec une augmentation de dignité. Ceux qui n'étaient pas peuple pensaient de même; il échappa à l'Électrice de dire à quelqu'une de ses femmes : « Qu'elle était au désespoir d'aller jouer en Prusse la reine de théâtre vis-à-vis de son Ésope. » Elle écrivit à Leibniz : « Ne croyez pas que je préfère ces grandeurs et ces couronnes dont on fait ici tant de cas, aux charmes des entretiens philosophiques que nous avons eus à Charlottenbourg. »a
a Le château de Lietzenbourg, bâti par le célèbre André Schlüter, et inauguré en 1696, le jour de naissance de l'Électeur, ne reçut le nom de Charlottenbourg que le 5 avril 1705, époque à laquelle le monarque, en mémoire de son épouse, la feue reine, accorda les droits de ville à ce château, ordonnance qui se trouve expressément répétée dans le testament du Roi, daté du 5 mai de la même année.