<140>Charles VI était à peine sorti de cette guerre, qu'il eut d'autres ennemis à combattre. Il s'était élevé en Espagne un homme d'un esprit étendu et entreprenant, profond, hardi, fécond en ressources, et fait, en un mot, pour agrandir ou bouleverser les empires. C'était l'abbé Alberoni, Italien de naissance, que le duc de Vendôme emmena en Espagne, où son habileté se fit d'abord connaître par le renvoi du cardinal del Giudice, qui gouvernait ce royaume, et dont il occupa la place. Alberoni fit des pas de géant vers la fortune; il s'insinua dans l'esprit de la Reine, qui était une princesse de Parme, et il seconda les vues quelle avait d'établir ses fils en Italie. La flotte que le roi d'Espagne avait d'abord destinée au secours des Vénitiens, fut employée à la conquête de l'île de Sardaigne, qui appartenait à l'Empereur; Cagliari passa sous le pouvoir des Espagnols, et toute la province fut dans peu subjuguée.
Les représentations de l'Angleterre et de la France n'empêchèrent pas la reine d'Espagne de suivre les desseins qu'Alberoni, devenu cardinal, lui suggérait. Cette princesse avait secrètement résolu de conquérir tout ce qu'elle pourrait de l'Italie. L'Empereur, aux pressantes sollicitations de l'Angleterre, avait consenti de donner l'investiture de la Toscane, du Parmesan et du Plaisantin, à l'infant Don Carlos : mais Philippe V s'obstinait à demander le royaume de Naples.
Ce débordement d'ambition d'une puissance nouvellement établie, porta l'Empereur, le roi de France et celui d'Angleterre, à la conclusion de la quadruple alliance, comme une digue puissante qu'ils opposaient aux entreprises de Philippe. Les Hollandais, qui devaient accéder à cette ligue, se réservèrent pour la médiation, et ils furent remplacés par le duc de Savoie.
Cette formidable alliance n'altéra ni les projets d'Alberoni, ni la fermeté de la reine d'Espagne, ni le désir qu'avait le roi son époux d'établir sa famille. La flotte espagnole, que l'Europe croyait destinée pour Naples, aborda à Palerme, qui se rendit; et le marquis de Leyde prit le titre de vice-roi de Sicile. Cependant l'amiral Byng vint avec vingt vaisseaux anglais dans la Méditerranée, battit la flotte espagnole dans le Fare; mais, quoiqu'il eût pris quatorze de ses plus beaux vaisseaux, il ne put empêcher