<146>Ce malheureux était un gentilhomme hongrois; il se nommait Clément. Il fondait les espérances de sa fortune sur la subtilité de sa fourberie. Il avait été employé dans les affaires en subalterne par le prince Eugène, et depuis par le maréchal de Flemming : à force d'impostures, il était parvenu à semer la mésintelligence entre la cour impériale et celle de Saxe. Comme il ne vivait que d'artifices, il lui fallait souvent des dupes nouvelles : il résolut d'étendre ses contributions jusque sur la bourse du Roi. Il vint à Berlin, et s'introduisit à la cour en s'offrant de découvrir des secrets de la dernière importance. Ses secrets consistaient dans une conjuration imaginaire, tramée entre l'Empereur et le roi de Pologne, dans laquelle les principales personnes de la cour étaient impliquées. Clément assurait que ces personnes mécontentes avaient été corrompues par l'appât des richesses et par des vues d'ambition. Le plan de la conjuration était, à ce qu'il prétendait, de saisir la personne du Roi dans un château nommé Wusterhausen, où il passait régulièrement deux mois de l'automne, et de le livrer à l'Empereur. Ce qui donnait, en quelque sorte, de la vraisemblance à ce projet, c'est que ce château n'était qu'à quatre milles des frontières de la Saxe, et que le Roi y était sans gardes.
Frédéric-Guillaume méprisa du commencement ces insinuations, et il ne fut ébranlé que par une lettre du prince Eugène remplie de ce dessein, que Clément lui montra. Ce scélérat se fit fort de convaincre entièrement le Roi de tout ce qu'il avait avancé, en lui produisant des lettres du prince d'Anhalt, du général Grumbkow et d'autres seigneurs de la cour. Tant d'effronterie et de hardiesse jeta le Roi dans de cruels soupçons et dans des méfiances continuelles. Il se proposa enfin d'éprouver en sa présence si Clément connaîtrait l'écriture des personnes qu'il accusait : on jeta sur une table une liasse de lettres de différentes mains, en l'obligeant d'en reconnaître l'écriture. Clément s'y trompa, et sa fourbe fut découverte. Il avoua dans sa prison qu'il avait contrefait l'écriture et le sceau du prince Eugène. Il reçut le juste salaire que méritaient ses impostures et ses méchancetés : on lui coupa la tête.a Cependant ces fausses accusations ne laissèrent
a Clément fut pendu à Berlin le 18 avril 1720.