<147>pas de renverser quelques fortunes, et de causer pour un temps des méfiances et des ombrages. La calomnie s'introduit plus facilement dans l'esprit des princes que la justification : ils connaissent assez les hommes pour savoir qu'il n'est guère de vertu sans tache, et ils voient tant d'exemples de la méchanceté du cœur humain, qu'ils sont plus sujets à être trompés que des particuliers qui vivent éloignés du monde. Les mensonges de Clément avaient pris crédit en quelque manière, à la faveur de la conjuration du prince Cellamare, dont l'exemple était encore tout récent.
Cette conjuration, bien plus réelle que celle de Clément, eut aussi des suites bien plus importantes. Au moyen de la quadruple alliance qui venait de se conclure, le Régent avait la facilité de se venger, sans courir le moindre risque, des entreprises du cardinal Alberoni : il n'en laissa pas échapper l'occasion, et il publia, en déclarant la guerre à l'Espagne, qu'il n'en voulait qu'au premier ministre. Berwick, à la tête de l'armée de France, prit Saint-Sébastien et Fontarabie, tandis que la flotte anglaise désola les ports Saint-Antoine et de Vigo, et que Mercy, passant en Sicile avec l'armée de l'Empereur, obligea le marquis de Leyde à lever le siége de Melazzo, et reprit la ville et la citadelle de Syracuse.
Le roi d'Espagne marcha avec son armée sur les frontières de son royaume. Il conduisait une colonne de ses troupes; la Reine, la seconde; et le Cardinal, la troisième : mais ils n'étaient pas faits tous les trois pour commander des armées; et le Roi, découragé par la mauvaise tournure que prenait pour lui le commencement de cette guerre, aima mieux sacrifier son ministre, que d'exposer sa monarchie à de plus grands hasards. C'était effectivement l'unique moyen pour rétablir dans l'Europe une paix solide. Qu'on eût donné deux mondes comme le nôtre à bouleverser au cardinal Alberoni, il en aurait encore demandé un troisième. Ses desseins étaient trop vastes, et son imagination, trop fougueuse : il avait résolu de chasser l'Empereur de l'Italie, de rendre son maître régent de la France; et, afin de remettre le Prétendant sur le trône d'Angleterre, il voulait animer Charles XII contre le roi George, et armer les Turcs et les Russes contre l'empereur Charles VI. La raison qui fait échouer tous ces vastes projets des ambitieux, c'est, à ce qu'il paraît, qu'en politique