<162>maîtres du Pérou et du Potosi, manque d'argent, se mettaient aux aumônes des prêtres de leur royaume.
Après toutes ces digressions, il est temps que nous revenions à Berlin, où Seckendorff, par ses intrigues, avait beaucoup étendu son crédit. Il aurait bien voulu gouverner la cour tout à fait. Dans ce dessein il proposa au Roi de s'aboucher avec l'Empereur, qui s'était rendu à Prague, espérant de se rendre si utile, pendant ce séjour, que la confiance que le Roi avait en lui ne pourrait que s'accroître infiniment. Le Roi, qui mettait dans les affaires la bonne foi de ses mœurs, consentit sans peine à ce voyage, sans prendre aucune mesure sur le but de cette entrevue, ni sur l'étiquette, qu'il méprisait. Son exemple servit de témoignage que la bonne foi et les vertus, si opposées à la corruption du siècle, ne sauraient y prospérer. Les politiques ont relégué la candeur dans la vie civile; et ils se voient si au-dessus des lois qu'ils font observer aux autres, qu'ils se livrent sans retenue à la dépravation de leur cœur. Les mœurs unies du Roi devinrent les victimes de l'étiquette impériale.
La garantie de la succession de Berg, que Seckendorff avait formellement promise au nom de l'Empereur, s'en alla en fumée; et les ministres de l'Empereur étaient dans des dispositions si contraires à la Prusse, que le Roi vit très-clairement que s'il y avait en Europe une cour portée à contrecarrer ses intérêts, c'était sûrement celle de Vienne. Ce prince s'était trouvé auprès de l'Empereur comme Solon auprès de Crésus; et il revint à Berlin, toujours riche de sa propre vertu. Les censeurs les plus pointilleux ne purent reprocher à sa conduite qu'une probité poussée à l'excès. Cette entrevue eut le sort qu'ont la plupart des visites que les rois se rendent : elle refroidit ou, pour le dire en un mot, elle éteignit l'amitié qui régnait entre les deux cours. Frédéric-Guillaume partit de Prague, plein de mépris pour la mauvaise foi et l'orgueil de la cour impériale; et les ministres de l'Empereur dédaignaient un souverain qui voyait sans préoccupation la frivolité des préséances. Sinzendorff trouvait les prétentions du Roi sur la succession de Berg trop ambitieuses, et le Roi trouvait les refus de ces ministres trop grossiers. Il les regardait comme des fourbes, qui manquaient impunément à leur parole.