<228>Le Grand Électeur, pour encourager une colonie aussi utile, lui assigna une pension annuelle de quarante mille écus, dont elle jouit encore.
Ainsi l'Électorat se trouva plus florissant vers la fin de la régence de Frédéric-Guillaume, qu'il ne l'avait été sous aucun de ses ancêtres; et la grande augmentation des manufactures étendit les branches du commerce, qui roula dans la suite sur nos blés, sur les bois, sur les étoffes et les draps, et sur nos sels. L'usage des postes, inconnu jusqu'alors en Allemagne, fut introduit par le Grand Électeur dans tous ses États, depuis Emmerich jusqu'à Memel. Les villes payaient des taxes arbitraires, qui furent abolies; l'établissement de l'accise les remplaça. Les villes commencèrent à se policer; on pava les rues, et on plaça de distance en distance des lanternes pour les éclairer. Cette police était d'une nécessité indispensable; car les courtisans étaient obligés daller en échasses au château de Potsdam, lorsque la cour s'y tenait, à cause des boues qu'il fallait traverser dans les rues.
Le Grand Électeur, quoique généreux et magnifique pour sa personne, fit des lois somptuaires. Sa cour était nombreuse, et sa dépense se faisait avec dignité : aux fêtes qu'il donna au mariage de sa nièce, la princesse de Courlande,a cinquante-six tables de quarante couverts furent servies à chaque repas. L'activité infatigable de ce grand prince donna à sa patrie tous les arts utiles; il n'eut pas le temps d'y ajouter les arts agréables.
Les guerres continuelles et le mélange des nouveaux habitants avaient déjà fait changer les anciennes mœurs; beaucoup d'usages des Hollandais et des Français devinrent les nôtres. Les vices dominants
étaient l'ivrognerie et l'intérêt; la débauche avec les femmes était ignorée de la jeunesse, et les maladies qui en sont les suites étaient inconnues alors. La cour aimait les pointes, les équivoques et les bouffons. Les enfants des nobles se remettaient aux études; et l'éducation de la jeunesse tomba insensiblement entre les mains des Français; nous leur devons encore une douceur dans le commerce, et des manières plus aisées que n'en ont ordinairement les Allemands.
Le changement qui arriva dans cet État après la guerre de trente ans, était universel; les monnaies s'en ressentirent ainsi que tout le reste. Autrefois le marc d'argent était sur le pied de neuf écus dans tout l'Empire, jusqu'à l'année 1651, que les malheurs des temps forcèrent le Grand Électeur d'avoir recours à toutes sortes d'expédients pour fournir aux dépenses de l'État. Il fit publier la même année un édit qui fixait le prix des monnaies courantes; et il fit battre des gros et des fenins pour des sommes considérables, dont la valeur intrinsèque répondait à peu près au tiers de la valeur numéraire de ces espèces. Le prix de cette monnaie étant idéal, elle fut aussitôt décriée, et tomba à la moitié de sa valeur : les vieux écus de bon aloi montèrent à vingt-huit, à trente gros; et de là vient ce que nous appelons l'écu de banque. Pour remédier à ces abus, les électeurs de Brandebourg et de Saxe s'abouchèrent à Zinna,66 et ils convinrent d'évaluer les monnaies sur un nouveau pied, moyennant lequel le marc fin
a La princesse Louise-Élisabeth épousa Frédéric II, landgrave de Hesse-Hombourg; le mariage fut célébré le 23 octobre 1670.
66 En 1667.