<232>nante et excessivement sujette aux inversions, aux nombreuses épithètes, et d'écrire en pédants plutôt qu'en hommes de génie.

Dans cette disette de tout bon ouvrage en prose, le Brandebourg eut un bon poëte; c'était le sieur de Canitz. Il traduisit heureusement quelques épîtres de Boileau; il fit des vers à l'imitation d'Horace, et quelques ouvrages où il est tout à fait original : c'est le Pope de l'Allemagne, le poëte le plus élégant, le plus correct et le moins diffus qui ait fait des vers en notre langue. Communément, en Allemagne, le pédantisme affecte jusqu'aux poëtes : la langue des dieux est prostituée par la bouche de quelque régent d'un collége obscur, ou par quelque étudiant dissolu; et ce qu'on appelle honnêtes gens sont ou trop paresseux ou trop fiers pour manier la lyre d'Horace ou la trompette de Virgile. Monsieur de Canitz, quoique d'une maison illustre, crut que l'esprit et le talent de la poésie ne dérogeait pas : il le cultiva, comme nous l'avons dit, avec succès; il eut une charge à la cour, et puisa dans l'usage de la bonne compagnie cette politesse et cette aménité qui plaît dans son style.

Les spectacles allemands étaient peu de chose : ce qu'on appelle tragédie est communément un monstre composé d'enflure et de basse plaisanterie; les auteurs dramatiques ignorent jusqu'aux moindres règles du théâtre. La comédie est plus pitoyable encore : c'est une farce grossière qui choque le goût, les bonnes mœurs et les honnêtes gens. La Reine entretenait un opéra italien, dont le fameux Buononcini était le compositeur; nous eûmes dès lors de bons musiciens. A la cour il y avait une comédie française, qui donnait dans ses représentations les chefs-d'œuvre des Molière, des Corneille et des Racine.

Le goût du théâtre français passa en Allemagne avec celui des modes de cette nation : l'Europe, enthousiasmée du caractère de grandeur que Louis XIV imprimait à toutes ses actions, de la politesse qui régnait à sa cour, et des grands hommes qui illustraient son règne, voulait imiter la France, qu'elle admirait. Toute l'Allemagne y voyageait : un jeune homme passait pour un imbécille, s'il n'avait séjourné quelque temps à la cour de Versailles. Le goût des Français régla nos cuisines, nos meubles, nos habillements, et toutes ces bagatelles sur lesquelles la tyrannie