<233>de la mode exerce son empire. Cette passion, portée à l'excès, dégénéra en fureur; les femmes, qui outrent souvent les choses, la poussèrent jusqu'à l'extravagance.67

La cour ne donnait pas tant dans les modes étrangères que la ville; la magnificence et l'étiquette y décoraient l'ennui; on s'enivrait même en cérémonie. Le Roi institua l'ordre de l'Aigle noir, tant pour avoir un ordre comme en ont tous les rois, que pour se procurer à cette occasion une fête, qui ressemble assez à une mascarade. Ce roi, qui avait fondé une académie par complaisance pour son épouse, entretenait des bouffons pour satisfaire à sa propre inclination. La cour de la reine Sophie-Charlotte était toute séparée de l'autre : c'était un temple où se conservait le feu sacré des Vestales, l'asile des savants et le siége de la politesse. On regretta d'autant plus les vertus de cette princesse, que celle qui lui succéda68 se livra aux dévots, et passa sa vie avec des hypocrites, race médisante qui verse ses poisons sur la vertu, en sanctifiant ses propres vices. Enfin des adeptes parurent à la cour : un Italien, nommé Caetano, assura le Roi qu'il avait le secret de faire de l'or; il en dépensa beaucoup, et n'en fit point. Le Roi se vengea de sa crédulité sur ce malheureux, et Caetano fut pendu.

L'État changea presque entièrement de forme sous Frédéric-Guillaume : la cour fut congédiée, et les grosses pensions souffrirent une réduction; beaucoup de personnes qui avaient entretenu carrosse, allèrent à pied, ce qui fit dire au public que le Roi


67 La mère du poëte Canitz, ayant épuisé la France en modes nouvelles, pour renchérir sur les autres dames de Berlin, commit à un marchand de faire venir de Paris un mari jeune, beau, vigoureux, poli, spirituel et noble, supposant que cette marchandise s'y trouvait aussi communément que des pompons dans une boutique. Le marchand, tout nouveau dans celte espèce de métier, s'acquitta de sa commission comme il put; ses correspondants trouvèrent enfin un épouseur : c'était un homme de cinquante ans; il se nommait le sieur de Brunbosc, d'un tempérament faible et valétudinaire. Il arrive [en 1676]; madame de Canitz le voit, s'effraye, et l'épouse. Ce fut un bonheur pour les Prussiens que ce mariage tourna au mécontentement de la dame : autrement son exemple aurait été suivi; nos beautés auraient passé dans les mains des Français; et les Berlinois auraient été réduits, comme les Romains, à enlever les Sabines de leur voisinage.

68 Une princesse de Mecklenbourg, qui tomba ensuite en démence.