<91>neur de sa nation, et pour le dire enfin en un mot, sa vie fait son éloge.
Dans ce siècle, trois hommes attirèrent sur eux l'attention de toute l'Europe : Cromwell, qui usurpa l'Angleterre, et couvrit le parricide de son roi d'une modération apparente et d'une politique soutenue; Louis XIV, qui fit trembler l'Europe devant sa puissance, protégea tous les talents, et rendit sa nation respectable dans tout l'univers; Frédéric-Guillaume, qui avec peu de moyens fit de grandes choses, se tint lui seul lieu de ministre et de général, et rendit florissant un État qu'il avait trouvé enseveli sous ses ruines. Le nom de Grand n'est dû qu'à des caractères héroïques et vertueux : Cromwell, dans sa profonde politique, fut souillé des crimes de son ambition; ce serait donc avilir la mémoire de Louis XIV et de Frédéric-Guillaume, que de mettre leur vie en opposition avec celle d'un tyran heureux.
Ces deux princes étaient regardés, chacun dans sa sphère, comme les plus grands hommes de leur siècle. Leur vie fournit des événements dont la ressemblance est frappante, et d'autres dont les circonstances en éloignent les rapports : comparer ces princes en fait de puissance, ce serait mettre en parallèle les foudres de Jupiter et les flèches de Philoctète; examiner leurs qualités personnelles, en faisant abstraction des dignités, c'est mettre en évidence que l'âme et les actions de l'Électeur n'étaient pas inférieures au génie et aux exploits du Monarque.
Ils avaient tous les deux la physionomie prévenante et heureuse, des traits marqués, le nez aquilin, des yeux où se peignaient les sentiments de leur âme, l'abord facile, l'air et le port majestueux. Louis XIV était plus haut de taille; il avait plus de douceur dans son maintien, et l'expression plus laconique et plus nerveuse : Frédéric-Guillaume avait contracté aux universités de Hollande un air plus froid et une éloquence plus diffuse. Leur origine est également ancienne : mais les Bourbons comptaient au nombre de leurs aïeux plus de souverains que les Hohenzollern; ils étaient rois d'une grande monarchie, qui avait eu longtemps des princes parmi leurs vassaux : les autres étaient électeurs d'un pays peu étendu, et alors dépendant en partie des empereurs.