<108>Par des meurtres affreux ternissent leur victoire,
Les caciques, les rois sont livrés au trépas.
Depuis, l'astre brûlant de ces riches climats,
En dardant ses rayons sur cette ardente zone,
Ne vit plus de cacique ou de roi sur le trône;
Le peuple avait péri comme ses souverains,
Les fleuves regorgeaient du sang des Mexicains.
Parmi tant de fureurs et tant de funérailles,
On fouillait dans les monts; du sein de leurs entrailles
L'Espagnol retirait ce dangereux métal,
Du vice des humains mobile principal;
Les riches minéraux que recélait l'Afrique,b
La dépouille des rois, les trésors du Mexique,
Et tous ces biens acquis par des crimes hardis
Pour enrichir Madrid passèrent à Cadix.
On timbra les lingots, la pièce eut son poids juste,
De Charles8 à chacune on imprima le buste,
Ces signes des valeurs reçurent divers noms,
On vit piastres, ducats, pistoles, patacons;
Par les ressorts nombreux qui meuvent le commerce
Ce métal en Europe à pleine main se verse.
Voyez-vous de bateaux ces grands fleuves couverts?
Ils portent nos moissons dans de lointaines mers;
L'Espagnol les reçoit, il nous rend des espèces,
Et de ce troc heureux dérivent nos richesses.
Les tributs du Mexique en Prusse transportés
Entretiennent les arts dans les grandes cités,
Ils font naître le luxe, enfant de l'opulence,
Des villes aux hameaux circuler la dépense;
Le laboureur qui vend le fruit de sa sueur
Du prix qu'il en reçoit va payer son seigneur;
C'est lui qui vous fournit, à force de fatigue,
Ces ducats dont au jeu vous êtes si prodigue.
Jugez, comte, jugez par ces faibles dessins
Des travaux étonnants qu'embrassent les humains;


8 Charles-Quint.

b Que cachait l'Amérique. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 166.)