<115>Malgré tant de fléaux cruels au genre humain,
L'espèce fièrement triomphe du destin.
Qu'un monarque absolu, par des arrêts très-sages,a
Proscrive les moineaux qui pillent les villages,
Le mal qu'ils souffriront de sa rigidité
N'approchera jamais de leur fécondité.
Les animaux privés, aux humains serviables,
Ont, pour multiplier, des ressources semblables;
Notre voracité de leur chair se nourrit,
Mais il en naît partout bien plus qu'il n'en périt.
Ce mal contagieux est présent à ma vue,
Qui ravit la génisse au joug de la charrue;
Nos prés semblent déserts, sur nos troupeaux nombreux
La mort appesantit son glaive rigoureux;
Tous les secours de l'art leur furent inutiles,
Nos champs sans leurs travaux vont demeurer stériles,
Le triste laboureur, pensif, désespéré,
Sans toucher son râteau, demeure désœuvré;
Les Français, les Bretons, la vaste Germanie,
La Prusse, tout le Nord et la froide Scythie
Éprouvent de ces maux les cruelles rigueurs.
Mais la mort vainement exerce ses fureurs :
Voici d'autres troupeaux parés de leur jeunesse,
La nature par eux réparera l'espèce.
Cette calamité rappelle à mon esprit
Les funestes fléaux dont la Prusse souffrit;b
Citoyens malheureux! ô ma chère patrie!
De votre triste sort mon âme est attendrie.
Le trépas n'épargnait le peuple ni les grands,
Et le royaume en deuil déplorait ses enfants.
Du mal contagieux l'attaque était subite,
De ceux qu'il atteignait la vie était proscrite;


a Le Roi semble se moquer ici d'une de ses propres ordonnances, le Renovirtes und geschärftes Edict, wegen Ausrottung der Sperlinge und Krähen, daté de Berlin, le 22 juin 1744. Voyez Mylius C. C. Marchicarum, Continuatio II, p. 189, no XVII.

b Voyez t. I, p. 138, 143, 159 et 168.